Le 30juin, la Rd-Congo célèbrera le 57ème anniversaire de son accession à l’indépendance. A Kinshasa, ville où les nids de poules remplacent chaque jour davantage l’asphalte, le boulevard triomphale a été réhabilité depuis des semaines, la grande muette et la police préparent leur défilé, les dispositions y afférentes se prennent… Les préparatifs vont bon train. Ce jour-là on verra les officiels, sur leur trente et un, s’afficher sur la tribune de la place du cinquantenaire afin de célébrer et, si l’on veut, communier avec les Kinois, dont beaucoup, en haillons magnifiques, le ventre creux, prient le ciel en espérant avoir de quoi manger le soir. Après autant d’années d’autogestion, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur l’opportunité d’organiser des grandes manifestations et chanter Kimpwanza comme en 1960. Ils estiment que le temps devrait plutôt être à l’autoévaluation, l’autocritique afin de rectifier ce qui doit l’être.
On est en plein centre d’activités de ce qui était Léopoldville, capitale du Congo-belge, actuellement Kinshasa. Sur le boulevard du 30 juin, au carrefour qui jouxte les bureaux de SN Bruxelles, des taxis «Ketch» se disputent le passage avec des bus Transco, Esprit de vie, Esprit de mort «Mercedes 207»,… sous un vacarme des klaxons, insultes, invectives et autres vociférations. Ici, code de la route, courtoisie,… ne veulent rien dire. En contrebas, des passants humant l’odeur nauséabonde qui remonte des égouts, lorgnent des policiers commis à la circulation acculant un conducteur. En fait, ces agents de « l’ordre » perçoivent, à leur manière, la « contravention », en lieu et place de la DGRAD, pour une infraction souvent inventée -à vrai dire, ils le rançonnent. Choquant? A Kin! Non. Cela fait partie de la routine. Dans ce capharnaüm, une femme le dos croulant sous le poids de l’âge, le visage érodé par la faim, fait la manche un gosse feignant l’évanouissement dans ses bras. Comme elle, aveugles, estropiés, valides, jeunes et vieux, hommes et femmes, une horde de mendiants a investi le boulevard. Un tableau de misère qui se vit pratiquement dans tous les grands carrefours de Kinshasa la belle. Plus personne, ou presque, ne s’en émeut.
Or, en ce mois de juin marqué par le 57ème anniversaire de l’indépendance de la Rd-Congo, cette pauvreté croissante devrait interpeller. Elle fait aigrement repenser au rêve, jusque-là brisé, de Simon Kimbangu, Joseph Malula, Joseph Kasa-Vubu, Patrice Emery Lumumba, Bolikango,… ceux-là qui ont lutté, certains au prix de leurs vies, pour l’émancipation du RD-Congolais et son mieux-être. «Ensemble mes frères, mes sœurs, nous allons commencer une nouvelle lutte, une lutte sublime qui va mener notre pays à la paix, à la prospérité et à la grandeur. Nous allons établir ensemble la justice sociale et assurer que chacun reçoive la juste rémunération de son travail. Nous allons montrer au monde ce que peut faire l’homme noir lorsqu’il travaille dans la liberté, … », promettait Patrice Emery Lumumba dans son discours improvisé en présence du roi des belges. En près de six décennies, qu’a-t-on fait de la Rd-Congo? Ces paroles de Lumumba sont encore loin de prendre corps. Et les rd-congolais peinent à mériter ce pays aux potentialités énormes.
Robert Ngambi, enseignant en Histoire politique du Congo à l’Université pédagogique nationale -UPN- le regrette. «En 1960, le PIB du Congo était égal à celui du Canada, notre niveau de développement était supérieur à celui de la Corée du sud, les Sud-africains venaient se faire soigner ici. Qu’est-ce qui fait que 57 ans plus tard, la Corée du sud est devenue une puissance économique, l’Afrique du sud et le Canada également, la Rd-Congo est devenue un Etat sous-développé, pauvre. En termes d’indice de développement humain, la Rd-Congo se place à la 182ème position, derrière la Gambie et l’Ethiopie», rappelle-t-il. En quasiment soixante années, les Sud-coréens, les Sud-africains ont travaillé pour développer leurs pays pendant que les rd-congolais travaillaient -et beaucoup y travaille encore- à plonger le leur dans les abysses.
Les deux acquis de l’après colonisation
Curieusement, en plus d’un demi-siècle, souligne l’illustre professeur d’Histoire entre autres à l’Université de Kinshasa, Isidore Ndaywell e Nziem, la Rd-Congo n’a pas une carence en cerveaux. «Au cours de cet âge postcolonial, la Rd-Congo a pu s’octroyer des cadres qui faisaient cruellement défaut à l’indépendance. On peut se vanter de disposer, aujourd’hui, d’une élite de haut niveau intellectuel, émanant de toutes les traditions universitaires mondiales : nord-américaines, européennes, indiennes, chinoises, africaines. Cet élément ne peut donc plus être évoqué comme un handicap, même si l’excellence universitaire est en baisse du fait de l’inflation des universités et instituts supérieurs dans le pays», signale-t-il cela comme un mérite à côté d’un deuxième: « celui d’avoir sauvegardé l’unité du pays qui n’a jamais cessé d’être sous menace pendant ces 57 ans. Ce n’est pas peu de choses. Sur ce point, il ne faut pas baisser la garde. Si le danger d’éclatement à partir des forces extérieures est quelque peu sous contrôle, celui de ‘l’implosion’ de la Rd-Congo à partir des contradictions internes et des difficultés socio-économiques, est toujours dans l’ordre du possible. Soyons donc sur nos gardes ».
Un problème de gouvernance…
Qu’à cela ne tienne, le nombre accru d’intellectuels suscite des questionnements tant la Rd-Congo continue à croupir dans la mégestion, le détournement, la banqueroute économique, l’absence de planification et d’une stratégie de développement. Juste au lendemain de son émancipation officielle de la colonisation belge, en août 1960, la Rd-Congo a connu une sérieuse instabilité politique. Un conflit a éclaté entre le président Kasa-Vubu et son premier ministre Patrice Lumumba. Ils se sont même révoqués mutuellement juste quelques jours après l’indépendance. Cependant, l’économie rd-congolaise gardera son équilibre, parce qu’étant encore entre les mains des colons. L’indépendance qui n’était que politique, n’était pas un fait accompli. Elle était en réalité un processus amorcé le 30 juin 1960, jusqu’ici pas réellement achevé. Les déclarations de l’ancienne métropole, la Belgique, de la Communauté internationale et souvent également celles des politiciens rd-congolais trahissent à n’en point douté la conscience d’une autodétermination rd-congolaise plutôt partielle.
Autre réalité qui suscite l’étonnement: jusqu’en début des années 70, les fonctionnaires RD-Congolais moyens n’avait rien à envier aux fonctionnaires internationaux. Mais tout basculera lorsque Mobutu, qui a pris le pouvoir entre les mains de Joseph Kasa-Vubu en 1965, décide de nationaliser, vers 1973, les entreprises encore contrôlées par les colons. C’est la Zaïrianisation. Des jeunes rd-congolais sans expérience dans la gestion se retrouvent catapultés à la tête des sociétés notamment minières, agricoles, et autres. Ce sera le début d’une prédation qui sévit jusqu’aujourd’hui. C’est là que la Rd-Congo devient, si l’on emprunte l’expression de l’écrivain Charles Ndjungu Simba, une « mangeoire ». Autant d’années de gâchis!, s’exclame Robert Ngambi.
Au fil des années, les rd-congolais ont développé une propension à ce que cet historien appelle « la bourgeoisie administrative ». C’est-à-dire les gens s’enrichissent sur le dos de l’Etat: «Par le fait d’accéder à un poste de ministre, d’administrateur, il se fait de illicitement de l’argent et entre dans la bourgeoisie». C’est la porte grandement ouverte à la mauvaise gouvernance. Et cette dernière occasion le sous-développement. A quoi aura servi d’avoir autant d’intellectuels -ou cette «élite»- s’ils n’arrivent pas à réfléchir sur les vrais défis que le pays a à relever? A quoi servent-ils s’ils ne font que transformer le Trésor en mangeoire? Pour bien s’apercevoir du malaise, une autopsie faite novembre 1977, par Mobutu sur son propre régime en dit long. Il y décrit des pratiques qui sont encore décriées.
« Tout se vend et s’achète dans notre pays. Et dans ce trafic, la détention d’une quelconque parcelle de pouvoir public constitue une véritable monnaie de change en contrepartie de l’acquisition illicite de l’argent ou d’une valeur matériel ou morale… Face à tous ces maux, il faut reconnaitre que, trop souvent, l’Etat et le Parti n’ont pas toujours réussi à décourager les mauvais, ni à encourager les bons… Tous ces trafiquants, ces commerçants, se trouvant dans presque tous les organes de l’Etat, ont fini par former une caste d’intouchables, véritables exploiteurs de leur peuple… ce mal zaïrois, essentiellement politique, a donc engendré une bourgeoisie qui veut s’enrichir sans travailler, consommer sans produire, diriger sans être contrôlés ». Aujourd’hui, ces groupes d’intouchables, qui se retrouvent au pouvoir, ou en transit dans l’opposition, Robert Ngambi les appellent des « mobutistes démocrates ou des démocrates mobutistes ». Selon lui, ceux-ci n’ont jamais quitté les pratiques de la deuxième République. Ils les actualisent simplement. Ce qui fait qu’ils gangrènent encore l’appareil de l’Etat.
Seuls les Rd-congolais pourront définitivement y remédier. Un peuple n’a que les dirigeants qu’il mérite, dit-on. 57 ans après, il est temps que les rd-congolais prennent conscience du pouvoir qui est le leur, afin d’arriver à contraindre les dirigeants, à qui ils confèrent le pouvoir, à travailler réellement pour le pays.
HUGO ROBERT MABIALA