Après des hésitations et surtout à cause de sa santé, Lutumba Simaro Masiya viens de prendre la décision de quitter la scène le 19 mars 2018, à l’occasion de ses 80 ans dont 63 ans dans la carrière musicale. Pour sa sortie honorable, il sollicite de la ville de Kinshasa que l’on débaptise sa rue en son nom et, au Gouvernement, de lui ériger un monument. Lutumba Ndomanuono Simon dit Simaro Masiya, Le Poète (Kinshasa, 19 mars 1938).
Considéré comme l’un de plus grands compositeurs de sa génération, Simon Lutumba Ndomanueno dit Simaro, de souche Ne-Kongo, constitue un intéressant cas de figure. En effet, sa carrière est une somme de perles qui s’égrènent à travers ses multiples talents de guitariste chevronné, de compositeur à la brillante thématique, de mélodiste hors pair et de peintre intimiste de l’âme africaine dont les esquisses plongent leurs racines dans la sagesse tirée du terroir congolais.
L’artiste entre de plein pied dans la profession musicale à partir des années 1950. Mais, il dut entendre 1961 pour vivre véritablement l’éclosion de sa carrière avec son intégration à l’orchestre OK Jazz, alors en quête de guitariste pour combler le vide laissé par Léon Bombolo.
A son entrée dans l’OK Jazz, Simaro trouve un groupe à la réputation déjà confirmée ; aussi doit-il batailler ferme pour s’imposer et par ailleurs, ôter du cœur des « OK philes » le souvenir, tour à tour de Bholen et Brazzos, deux excellents guitaristes doublés d’auteurs-compositeurs redoutables.
Simaro, qui a trouvé une place à sa mesure au cénacle de Luambo Makiadi, se révèle un guitariste compétent sans plus. Il ne donne pas encore la mesure de ses capacités en matière de compositions. C’est sobrement qu’il propose aux Editions Loningisa un premier disque comprenant, au recto, une rumba « Nakolapa Nzambe soki ba zuzi, fungola ngaï » et, au verso, un boléro intitulé « Honotha wa Massiya ».
Pour Luambo Franco et la majorité des mélomanes, Simaro les laisse sur leur faim. Ce dernier, en effet, préfère procéder par dose homéopathique en distillant méthodiquement et parcimonieusement ses chansons. Un peu plus tard, pour le compte des Editions « Surboum African jazz », Simaro Lutumba compose : « Mbanda kazaka », « yamba ngaï na Léo », « guitare d’enfer », « olobi ngaï na latisaka te », « Mado oboyi Simaro ». L’opinion affirme, dès lors, que Simaro n’est sans doute pas un auteur prolifique, mais se donne le temps d’affiner ses compositions et produit, chaque fois, des chefs-d’œuvres. Traduisez en lingala : « Simaro a composaka mingi te, mais soki a composé ezalaka se likambo monene ».
Lutumba Simaro commet là une erreur de stratégie en ses premières années de son incorporation dans OK Jazz. A l’inverse, Mujos et Kwamy, utilisent une autre arme : briller par un rythme de production effréné. Ces derniers conquièrent la faveur de Luambo Franco, leader de l’orchestre et lui-même auteur-compositeur fécond. Celui-ci pense, en effet, que les œuvres des précités contribuent à diversifier le style de composition au sein du groupe. Il se réfère en cela aux anciennes pratiques de l’OK Jazz au sujet desquelles il manifeste son exaltation à chaque apport de Vicky, de Edo ou encore de Brazzos.
Porté par ses préoccupations tactiques, Luambo Franco en 1962 se réconcilie avec Vicky Longomba, restructure l’orchestre et l’érige en société commerciale : Luambo Makiadi est confirmé comme le Fondateur de l’entreprise tandis que Vicky devient le président du Conseil d’Administration. Avec cette restructuration, Brazzos regagne aussi le bercail, y retrouvant la guitare rythmique au détriment de Simaro. A partir de cette période, Simaro commence sa traversée de désert et offre par moments ses services à l’orchestre City Five et preste, en 1963, aux coté du guitariste Léon Bombolo Bholen dans une boîte de nuit dénommé Afro Mongambo.
Il fallait attendre 1966 pour voir Luambo Makiadi décider de la réintégration de Lutumba Simaro en qualité de guitariste rythmique dans OK Jazz en remplacement de Brazzos. Le revenant, échaudé par de précédents clignotants, aborde cette nouvelle expérience avec un autre état d’esprit. Lutumba Simaro sort donc sa grosse artillerie. Ses compositions se font régulières et il en impose sur les autres, tant par la qualité que par la thématique de ses œuvres.
C’est un public complètement médusé qui découvre un Lutumba Simaro pluridimensionnel et d’années en années et des compositions en compositions, l’auteur de « Mdanda kazaka » devient « Le Poète Lutumba ».
De 1966 à 1970, l’artiste se découvre dans toute la force de sa thématique et de ses mélodies dont voici un échantillonnage : « Frantail, akosa ngai », « Annie, Obosani ngai », « Mwasi ya ba patrons », « Marie Souza ».
Sans conteste, Simaro installe défensivement sa réputation. Aussi, grisé par le succès, tente-t-il en 1970, une expérience en solo avec un orchestre de circonstance « Mi Amor et compose le titre « na lifelo, bisengo bizali te », malheureusement sans retombées financières escomptées. Il entreprend une autre tentative sous le label VEVE et connaît en revanche un succès renversant.
Très inquiété par cette percée fulgurante, Luambo Makiadi a vite compris que son collaborateur éprouve un grand besoin d’épanouissement. Cela étant, il lui taille un statut spécial le faisant accéder au poste de vice-président, fonction qu’il gardera jusqu’à la mort de son mentor.
Très fécond, Lutumba Simaro, durant les années passées aux côtés de Luambo Makadi, frappe plusieurs grands coups avec des chansons inspirées telles : « Cedou : Sakana mama », « Mabele » œuvre exécutée par Sam Mangwana, « Kadima » exécutée par Djo Mpoyi, « Verre cassé », « Eau bénite », « Maya » exécutée par Carlyto Lassa …
En 1989, après la mort de Luambo Makiadi, Lutumba Simaro tente, bon an mal an, de tenir le gouvernail de la lourde TP OK Jazz. La tâche n’est point une sinécure. Aussi, devant d’innombrables obstacles, lui et quelques anciens collaborateurs de Luambo Makiadi décident-ils de monter leur propre formation.
En 1994, Lutumba annonce, sur les antennes de radio et télévision, la création de l’orchestre Bana OK. Presque tous les anciens font partie de cette nouvelle formation sauf Madilu ainsi que ceux de l’Europe.
Depuis, en dépit de quelques défections enregistrées, Lutumba Simaro a su tenir le groupe Bana OK. Ainsi, cheminant vaillamment sur les sentiers des plus grands musiciens et compositeurs de la République Démocratique du Congo, l’artiste entre vivant, dans le panthéon de la musique congolaise moderne.
EALE IKABE JEAN PIERRE avec le Dictionnaire des Immortels