Docteur en communication et professeur des universités, Jean Chrétien Ekambo Duasenge a fait une autopsie du secteur des médias en Rd-Congo, partant de l’enseignement. Ne partageant pas l’idée de création d’un ordre de journalistes, ce professeur de renom a plutôt recommandé des réflexions profondes pour barrer la route aux moutons noirs. Lisez plutôt son entretien exclusif avec Eventsrdc.com
De nombreuses rédactions qui accueillent les étudiants de l’IFASIC en stage se plaignent de leur niveau. Qui blâmer ?
C’est d’abord un problème du pays. L’enseignement a depuis plusieurs années connu un certain recul. La cause serait également la surabondance des apprenants dans les universités. Lorsque vous avez une petite tasse de thé et que vous y mettiez une cuillérée de sucre, cela prendra. Mais lorsque vous prenez une grande tasse et que vous y mettiez la même quantité du sucre, vous ne sentirez pas le goût sucré.
En réalité, il y a de bons étudiants dans nos universités, mais qui sont noyés dans la masse des moyens et même des médiocres. C’est ce qui fait que vous ne rencontrez pas directement ces bons étudiants.
A sa création, Radio Okapi n’avait recruté que les étudiants formés par l’IFASIC. C’est encore le cas avec la plupart des médias en ligne qui diffusent la bonne information aujourd’hui. Ils sont dirigés par les rd-congolais qui sortent de l’IFASIC. Je suis fier que nous ayons formé des personnes qui facilement se sont adaptées aux technologies nouvelles sans les apprendre à l’école. Elles ont le génie d’adaptation.
Que fait l’IFASIC pour s’adapter à ces nouvelles technologies ?
C’est un grand problème à ce niveau là. Comme les technologies sont toujours nouvelles, elles nous échappent toujours. Chaque fois que nous asseyons de faire une mise à niveau, ces technologies s’accélèrent toujours. Elles vont plus loin et plus rapidement que nous. Il existe un département qui a commencé comme Édition du livre. Avec le temps, il est devenu Édition Multimédia. Nous faisons toujours un grand effort pour nous adapter.
Qu’attendent les écoles des SIC de la Rd-Congo pour intégrer ces nouvelles technologies dans leur programme ?
La question n’est pas celle du programme. Selon l’organisation de l’université en Rd-Congo, le programme ne peut changer que s’il obtenait l’avale des instances supérieures. C’est le Conseil d’administration, la Commission permanente des études et le ministère de l’Enseignement Supérieur et Universitaire qui, par arrêté, signent ou officialisent le programme. Mais, nous adaptons au niveau du contenu et nous veillons à l’actualisation du contenu pour ne pas être déphasé.
Sous d’autres cieux, les universités organisent des rencontres avec des praticiens pour réfléchir sur le mécanisme d’adaptation des programmes. Pourquoi cela n’est pas le cas en Rd-Congo ?
Si les autres universités ne le font pas, nous, nous le faisons. Il y a deux ans, nous avions organisé un colloque, « Métiers de la communication », et nous avions invité les anciens étudiants diplômés pour qu’ils échangent avec les actuels étudiants et le corps scientifique au sujet de l’évolution du métier.
A partir de ce colloque, l’association des anciens de l’ISTI-IFASIC s’est redynamisée et a crée de petites structures à l’interne. Cette année, l’association a démarré avec le mentorat et le coaching à partir de la première année de graduat. D’autant plus que nous le faisons de manière assidue, cela marche correctement.
Comment faire pour distinguer la bonne information de l’intox ou fakenews ?
Les fakenews sont une grosse chance pour le journalisme qui commençait à perdre un peu sa notoriété à cause de toutes ces personnes qui venaient dans ce métier de transmission des contenus au public. Il suffisait d’avoir une caméra, un smartphone ou un dictaphone et se faire appelé journaliste.
Toutes ces personnes ont, à un moment, décrédibilisé l’activité de l’information à cause des fakenews. Maintenant, le monde se rend compte qu’il y a une différence entre ce que publie le journaliste et ce que publient les prétendants journalistes.
Les fakenews nous donnent la force de dire aux jeunes gens que contrairement à ce que nous avions craint, leur métier a toujours de l’avenir. Le public ne consomme plus n’importe quelle publication.
Certains professionnels et observateurs pensent que la création d’un ordre de journalistes crédibilisera davantage ce métier. Partagez-vous cet avis ?
Non. Pas du tout. Parce que depuis sa naissance, le journalisme a toujours été un métier très proche de l’art. Vous pouvez inscrire les enfants à l’Académie des Beaux Arts, ils ne seront pas forcément meilleurs que ceux qui ont le génie de manière tout à fait naturel.
Si nous devrions attendre des journalistes que ceux qui passent par l’école, je crois que nous mettrons à côté un certain nombre de génie. Par exemple, celui qui a été un grand sportif, devrions-nous lui fermer la porte à l’écriture journalistique pour le sport? Aujourd’hui, il y a des formules qui marchent pour mieux positionner un média par rapport à la concurrence. La consultance marche très bien avec le sport. Pour le cas du football, le journaliste commente un match ou présente une émission, mais se fait assister par un ou plusieurs consultants pour donner la vraie information au public.
Si nous options pour la création d’un ordre, nous étoufferons notre métier. Un ordre est très strict. Il n’accepte pas n’importe qui, même les personnes qui ont une connaissance innée ou acquise à l’état.
Pour le journalisme, il faut des sérieuses réflexions pour empêcher les moutons noirs à faire ce qu’ils font. Peut-être renforcer l’association ou l’union des journalistes.
Depuis janvier dernier, les grèves et autres formes de tensions se multiplient dans les entreprises de presse à Kinshasa. Comment analysez-vous cette situation ?
Je suis en train d’observer ce phénomène. A quelque chose, malheur est bon. Si vous observiez les médias qui rencontrent ces difficultés, vous verrez que ce sont des médias labélisés ou sponsorisés par les acteurs politiques. Lorsqu’ils sont en fonction, ils ont des moyens et leurs médias fonctionnent normalement. Cela nous pousse à nous poser la question si ce sont des moyens de l’Etat ou pas qui ont servi à créer ces médias.
D’une part, nous sommes contents parce que ces médias ont embauché les jeunes gens que nous avions formés, mais ce ne sont pas des structures économiquement solides. De l’autre, nous devons tenter d’autres expériences comme celle du journal La Référence Plus, créé par les journalistes et Numerica TV également créé par deux journalistes.
Est-ce que ce n’est peut-être pas la petite voie pour sortir de cette emprise des politiques qui tiennent à créer des médias mais qui ont des limites? Il y a la loi Mutinga qui a déjà été votée au parlement, mais qui n’a jamais été promulguée par le Chef de l’Etat. Cette loi définit clairement ce que doit être une entreprise médiatique en Rd-Congo.
Et si l’IFASIC mettait en place un département de gestion et management des entreprises de presse ?
C’est possible. Avec l’université de Lille, nous avions tenté une telle expérience, mais elle n’a tourné que pour une seule promotion et s’est arrêtée. Un tel département pourra résoudre de nombreux problèmes que connaissent les médias en Rd-Congo.
CINARDO KIVUILA