« Combien de Congolais achètent-ils les journaux?« , s’est interrogé Patrick Muyaya. « Combien d’institutions gouvernementales sont-elles abonnées? Comment les médias se financent?« . Et le ministre de Communication & Médias de poursuivre, dans cette interview accordée à Vaticanews.va, voilà plusieurs mois, « autant de questions qui doivent faire l’objet d’une réflexion et nous allons y apporter des solutions (…) Nous allons réfléchir sur le modèle économique de nos médias, notamment la question des subventions et des revenus publicitaires« .
Patrick Muayaya a certes la voloté d’impulser « un nouveau narratif » dans le secteur de Comm & Médias qui risque cependant d’achopper à la modicité des crédits – qui ne sont encore que des prévisions!- attribués à son ministère: un peu moins de 40 millions US$ pour l’exercice 2022 dont moins 75.000 US$ pour les interventions économiques, sociales , culturelles et scientifiques alors que les subventions, environ 665.000 US$, ne concernent que les établissements et services étatiques ACP, RTNC, RENATELSAT, etc.,
Et pourtant, Patrick Muyaya peut plus facilement aider les organes de presse écrite à apprendre à pêcher plutôt que d’espérer d’une hypothétique subvention de l’Etat. Le Bureau Central de Coordination des projets (BCECO) gère un ambitieux projet qu’il a gelé on ne sait trop pourquoi portant sur la fabrication et l’implantation de 20 kiosques à journaux dans la ville de Kinshasa pour le compte du ministère Comm & Médias. Voilà plus d’un lustre que le projet est resté au point mort. Et pourtant des sources crédibles au BCECO attestent que la fabrication et l’implantation des kiosques à journaux rentraient dans le cadre du programme de réhabilitation et de modernisation des infrastructures publiques. Le gouvernement avait, pour ce faire, mis en place un fonds spécial alimenté par la moitié de la redevance rémunératoire due aux services et aux organes publics (DGDA, DGRAD, OCC, CEEC, OGEFREM, etc.,) pour le service rendu à l’exportation des produits miniers, soit 88 milliards de FC au minimum, environ 96 millions US$ en 2014. Ce n’est donc pas le financement qui a fait défaut, mais le projet des kiosques à journaux n’a plus jamais vu le jour.
Par ce temps où les pratiques maffieuses d’antan sont mises à nu, Patrick Muyaya est en droit d’exiger des comptes au BCECO… illico presto. D’autant plus que la remise à jour de ce projet devient présentemment une nécessité pour sauver les entreprises des médias, conformément au Pilier 6 de l’Action gouvernementale soutenue par le Premier ministre, Michel Sama Lukonde, devant l’Assemblée nationale, « amélioration du climat des affaires et promotion de l’entrepreneuriat ainsi que de la classe moyenne« .
Et Sama Lukonde ajoutait que « la troisième ambition de mon gouvernement est de construire un Etat solidaire qui protège et assure le bien-être de l’ensemble de ses citoyens …C’est pourquoi dans la droite ligne de la vision du Chef de l’Etat, le gouvernement tient à inverser cette tendance [de pauvreté] par (…) la promotion du travail pour tous ». C’est donc un réel changement de narratif, tel que Muyaya en a fait son leitmotiv. Les journaux en papiers ont encore de trop longs beaux et bons jours devant eux. En effet, en France, en dépit des restrictions des mouvements des personnes du fait de la covid-19, les ventes de journaux et magazines, grâce aux kiosques n’ont reculé que d’1,5% en 2020, les quotidiens nationaux tirant même leur épingle du jeu, avec 1,9 milliard d’exemplaires. Le Monde peut même se targuer d’une croissance à deux chiffres : +20,8% pour plus de 393.000 exemplaires par jour en moyenne, dont près de 180.000 versions numériques seulement.
En Belgique, pendant le confinement, entre mars et mai 2020, de nombreux points de vente ont en effet fermé plusieurs semaines. Toutefois, Le Soir a multiplié ses ventes d’abonnements par 2,5 en mars et par 4,5 en avril, par rapport à un mois habituel. « La hausse concerne surtout les abonnements numériques, mais le papier a également connu une forte activité », détaille le directeur du Soir, Olivier de Raeymaeker, qui précise encore qu’il s’agit de ventes propres, hors partenariat. En mars, avril et mai, les titres de Sudpresse ont quant à eux recruté deux fois plus d’abonnés qu’en période normale, tant sur le numérique qu’en papier. Tous les éditeurs affirment que le nombre d’abonnés à la version imprimée de leur journal reste stable. C’est surtout le numérique qui croît. Le journalisme de qualité coûte cher et Internet rapporte peu, lit-on dans une récente étude du prestigieux Pew Research Center. Qui poursuit,« un journal choisissant le tout-Internet économise 65% de ses dépenses… et perd 90% de ses recettes ».
En RDC, particulièrement à Kinshasa, les kiosques à journaux ont le mérite d’en finir avec la « dictature de la demande » imposée par les vendeurs des journaux de la Place Victoire, à Matonge/Kinshasa. Ils achètent les journaux papiers, selon des manchettes qu’ils estiment vendables, aux prix qu’ils le souhaitent et les revendent à leur guise. Les vendeurs des journaux se paient même l’outrecuidance de retourner aux organes de presse, le stock des journaux qu’ils n’ont pas pu revendre et leur exigent la même quantité des invendus lors de la prochaine édition du journal.
Ce marché des dupes dépasse le seuil l’humiliation lorsque ces vendeurs des journaux ne se contentent d’acheter qu’un seul exemplaire qu’ils polycopient, en toute illégalité, pour la vente. Par conséquent, paupérisées à souhait, les entreprises de presse écrite ne survivent qu’en se rangeant servilement sous la coupe des acteurs politiques. La qualité, l’authenticité et la véracité des informations s’en trouvent alors compromises.
Fin octobre 2021, la DGRAD, régie financière en charge des recettes parafiscales, notait que le ministère de Communication & Médias avait encore «des difficultés pour répertorier les éditeurs des journaux qui, souvent, ne sont pas domiciliés». La DGRAD et le service d’assiette envisagent d’effectuer des missions de contrôle pour dénicher notamment les éditeurs des journaux courant 2022. Mais ces entreprises doivent absolument réconquérir le circuit des ventes des journaux pour un auto-financement adéquat. Car l’idéal, c’est aides-toi, et le ciel t’aidera.
La mise en place des kiosques dignes de ce nom dans la ville de Kinshasa pour la vente des journaux directement aux clients est une option susceptible de renflouer les caisses des entreprises de presse. Et les sources de financement de ce projet peuvent être diversifiées avec succès. Au ministre Muyaya d’élargir son champ d’écoute. Changement de narratif.
POLD LEVI MAWEJA (CP)