Dans une interview accordée à Africa News et Eventsrdc.com, le professeur Isidore Ndaywell e Nziem, éminent historien rd-congolais, a fait une relecture des 57 ans d’indépendance de la Rd-Congo. Loin d’un discours fataliste comme on entend souvent, Ndaywell a, lui, fait une analyse scientifique, relevant les forces, bien que rares, et les faiblesses de ces décennies d’autodétermination. Pour lui, il y a deux points positifs pour lesquels les rd-congolais pourraient être fiers: le fait d’avoir aujourd’hui une élite intellectuelle qui manquait cruellement lors de l’indépendance et la sauvegarde de l’Unité nationale. Cependant, Ndaywell a tiré la sonnette d’alarme: « il ne faut pas baisser la garde. Si le danger d’éclatement à partir des forces extérieures est quelque peu sous contrôle, celui de « l’implosion » du Congo à partir des contradictions internes et des difficultés socio-économiques, est toujours dans l’ordre du possible. Soyons donc sur nos gardes ». En même temps, il déplore le fait que « La RDC n’arrive toujours pas à se doter d’une gouvernance crédible, rationnelle et conforme à sa massivité territoriale. Si elle demeure sous le règne de la loi de la jungle, c’est à cause de son déficit démocratique et de l’absence quasi-totale de la justice ». Interview.
57 ans d’indépendance. Quel bilan faites-vous de la gestion du Congo par les Congolais ?
57 ans, plus d’un demi-siècle, ce n’est pas peu de choses. C’est au moins le double de la durée de L’Etat Indépendant du Congo de Léopold II. Sur le bilan, faisons d’abord l’effort de déceler du positif. On reconnaît à la gestion congolaise au moins deux acquis importants. Le premier: celui d’avoir sauvegardé l’unité du pays qui n’a jamais cessé d’être sous menace pendant ces 57 ans. Ce n’est pas peu de choses. Sur ce point, il ne faut pas baisser la garde. Si le danger d’éclatement à partir des forces extérieures est quelque peu sous contrôle, celui de «l’implosion» du Congo à partir des contradictions internes et des difficultés socio-économiques, est toujours dans l’ordre du possible. Soyons donc sur nos gardes. Le second acquis relève également des évidences. Au cours de cet âge postcolonial, la RDC a pu s’octroyer des cadres qui faisaient cruellement défaut à l’indépendance. On peut se vanter de disposer, aujourd’hui, d’une élite de haut niveau intellectuel, émanant de toutes les traditions universitaires mondiales: nord-américaines, européennes, indiennes, chinoises, africaines. Cet élément ne peut donc plus être évoqué comme un handicap, même si l’excellence universitaire est en baisse du fait de l’inflation des universités et instituts supérieurs dans le pays.
Sur le plan négatif, il y aurait beaucoup à dire. J’évoquerai deux déficiences majeures. La première est d’ordre managérial. La RDC n’arrive toujours pas à se doter d’une gouvernance crédible, rationnelle et conforme à sa massivité territoriale. Si elle demeure sous le règne de la loi de la jungle, c’est à cause de son déficit démocratique et de l’absence quasi-totale de la justice. Au Congo, tout serait permis, tout serait possible, à condition de disposer de l’argent nécessaire. La deuxième déficience est liée à l’absence de toute planification. Au cours de ce demi-siècle, la RDC n’a jamais pu se doter d’un plan global de développement accepté par tous et mobilisant toutes les énergies et toutes les compétences disponibles. Dans cette évolution, on ne peut déterminer, à partir de nos propres critères, si l’on est en retard ou en avance, puisqu’on ne sait où se situer et par rapport à quoi.
Il semble qu’il y ait toujours eu débat sur la légitimité. Les Congolais sont-ils incapables de briser ce cycle de crise ?
Il n’y a pas toujours eu débat sur la légitimité. Cela n’a pas été le cas de Kasa-Vubu, ni de Mobutu après les élections de 1971 et avant la fin de son dernier mandat en 1991. Je pense que Laurent-Désiré Kabila n’a pas été jugé illégitime, pas même Joseph Kabila en 2001. A ma connaissance, le débat sur la légitimité a pris corps à l’issue des élections de 2011; ce doute a été confirmé par l’absence des Chefs d’Etat étrangers (sauf Mugabe) à l’investiture présidentielle. Ce débat s’est amplifié à l’issue de ce second mandat de Joseph Kabila en décembre 2016. Dans notre histoire, nous ne connaissons donc que deux moments de légitimité présidentielle contestée et contestable: celui de Mobutu après son dernier septennat en 1991 et celui de Kabila junior après la fin de son dernier mandat de 2016.
A en juger par les déclarations et les sanctions des pays occidentaux, on se demande parfois si cette indépendance est un «leurre» ou si nous souffrons du « syndrome du colonisé ». Votre avis ?
Le Congo est un des rares pays d’Afrique subsaharienne qui aurait pu, avec son étendue, sa population et ses richesses, amorcer une politique véritable d’indépendance au lendemain de sa décolonisation. En réalité, les politiques postcoloniales successives ont misé sur une sorte d’arrimage aux forces externes. Nos dirigeants ne s’en plaignent que lorsque leurs parrains leur font des remontrances sur pression de leurs opinions publiques. Cela concerne toujours le même sujet: le déficit démocratique, le non respect des libertés et des droits de l’homme. C’est alors que sort chez nous la rhétorique sur l’ingérence étrangère. Etrange comportement quand on sait que ce discours de condamnation des ingérences étrangères est totalement en contradiction avec la pratique d’une grande extraversion économique, toutes les ressources naturelles étant offertes au pillage des étrangers, par la médiation des répondants locaux. Concrètement, personne ne nous a jamais empêchés d’amorcer une véritable politique d’indépendance. Lumumba l’avait annoncé. Mobutu a fait quelques tentatives vite étouffées par la crise économique et la mégestion. C’est nous-mêmes par notre incapacité à trouver des solutions à nos propres problèmes qui faisons appel, de manière implicite, aux étrangers. Même nos concertations et nos réconciliations ne se réalisent que sous pressions extérieures.
L’ONU a été à la manœuvre au Conclave de Lovanium (pour réconcilier les Lumumbistes et les Kasa-vubistes, et à la CNS (pour réconcilier la Mouvance Présidentielle et l’Union Sacrée de l’Opposition). A Sun City, l’ONU a partagé ce rôle avec le CIAT (Comité international d’accompagnement de la transition) pour réconcilier les forces en présence. De nos jours, l’incapacité congolaise à appliquer correctement nos propres Accords de la Saint-Sylvestre, est un appel du pied des ingérences extérieures. Sans une telle intervention, la RDC risque d’aboutir à des élections inutiles parce que les résultats seraient contestés d’avance, avant même qu’elles n’aient eu lieu. La guérilla politique entre majorité présidentielle et oppostion se poursuivrait de plus belle au délà de cette échéance. Car, pour être apaisées, les élections se doivent d’être transparentes et affranchies de toute méfiance. Ce qui est loin d’être acquis dans les conditions actuelles.
Les choses pourront-elles changer avant un siècle d’indépendance ?
Certainement. Elles auraient pu changer dès à présent. Au cours de la dernière décennie, la RDC a connu un essor reconnu par le monde entier sur le plan politique, sécuritaire, économique et diplomatique. Cela constituait en principe les acquis du régime de Joseph Kabila. Mais, depuis deux ans, on assiste à la destruction méthodique et systématique de tous ces éléments. Le même régime s’est-il décidé à se faire hara-kiri ? Cette politique de la « terre brûlée », on ne peut que la déplorer. Car, en histoire, comme dans la vie courante, c’est la fin qui commande le discours rétrospectif, et non le contraire.
Qu’est-ce qui manque aux Congolais ?
A la vérité, Il manque surtout deux choses qui sont complémentaires : la capacité de faire la différence entre l’essentiel et l’accessoire ; celle également d’avoir un esprit d’à long terme, pour ne pas sacrifier impunément l’avenir à l’autel de l’immédiat et du quotidien.
HUGO ROBERT MABIALA