Entre révolution et difficultés économiques, le cinéma rd-congolais bat de l’aile. Face à un manque d’industrie, les cinéastes rd-congolais en prennent tout de même plein les yeux dans un pays où le soutien de l’État c’est une tannée. Alors que le prestige des festivals de cinéma en RDC organisés par les professionnels du secteur prend de plus en plus de l’ampleur – FICKIN, CINEF, SKIFF, CIFF, Okapi…les exemples sont légion -, le ministère de la culture, arts et patrimoines veut également tirer son épingle du jeu créant un nouveau festival cinématographique dénommé « Okapi ». Entre coup de gueule et scepticisme, les cinéastes rd-congolais réagissent sans filtre.
En avril 2021, le Premier ministre rd-congolais Sama Lukonde, présentait devant le parlement l’ambitieux programme de son gouvernement ainsi qu’une feuille de route axée sur le développement du secteur culturel en RDC. En plus de raffermir les industries culturelles et créatives (cinéma, musique, théâtre), le gouvernement promettait la construction des infrastructures culturelles, mais surtout la mise des moyens financiers dans des projets à travers le Fonds de Promotion Culturelle.
Dans le but de matérialiser cette feuille de route du gouvernement Sama Lukonde à son alinéa 332 de l’axe 61, la ministre de la culture, arts et patrimoines, Catherine Furaha, a annoncé le samedi 15 avril 2023 en marge de la journée internationale de l’art, la création d’un festival de cinéma dénommé « Okapi ». Dans le chef des cinéastes, les réactions retombent en giboulées.
Réalisateur, producteur et initiateur du Festival International de Cinéma de Kinshasa, Tshoper Kabambi estime que le ministère de la culture, arts et patrimoines a tout faux de créer un festival du cinéma. À la place d’en produire un, son rôle est plutôt d’accompagner les acteurs du secteur, ainsi que les festivals qui existent déjà.
« C’est avec un grand regret que j’ai accueilli cette nouvelle parce qu’à mon avis, le ministère n’a pas dans ses attribution la vocation d’organiser des festivals ou des spectacles. Il a vocation d’accompagner les acteurs de la société civile. On a comme l’impression que le ministère ne comprend pas trop son rôle dans le secteur et veut se la jouer juge et parti », regrette-t-il.
Hypothèse également balayée par Nancy Adjani, actrice et productrice qui fustige cette forme de « concurrence » à l’égard d’autres festivals qui existent déjà. En sus, le ministère n’a pas suffisamment eu d’informations avant de nommer son festival « Okapi » étant donné qu’il en existe déjà un, déplore la star d’Adjani.
« Il existe déjà un festival Okapi qui existe déjà depuis 3 ans. Ce n’est pas quelque chose de nouveau. C’est inconcevable que le ministère de la culture ne soit pas au courant de l’existence de ce festival. Ils doivent au minimum essayer de se renseigner, trouver des informations pour finalement en créer un. Est-ce que c’est au gouvernement ou au ministère de la culture d’être organisateur ou producteur d’un festival au Congo? Pendant qu’il y a des festivals qui ne demandent qu’une chose, les subventions », a déploré Nancy Adjani.
Elle a ajouté : « On se démerde tout seul. Pourquoi devons-nous continuer à persister dans ce pays dans la culture qui est une belle richesse en étant comme des orphelins ? Ce n’est pas au ministère de la culture et art de créer un festival, c’est au ministère de la culture et arts de subvenir aux besoins des festivals qui existent déjà. Il n’a pas à concurrencer les autres festivals ».
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« Soutenir la création »
La création d’un nouveau festival du cinéma a moins d’importance quand le secteur n’est pas restructuré. Ce qui passe notamment par l’appui de la création, estime Okoko Nyumbaiza, réalisateur.
« L’initiative de créer un festival du cinéma, ce n’est pas mal parce qu’effectivement au regard de notre population qui est comptée par million, nous avons besoin des évènements majeurs pour célébrer la culture tout simplement. Maintenant, la décision du ministère de la culture, arts et patrimoines de créer un nouveau festival du cinéma du nom d’Okapi, je ne crois pas que ça soit une très bonne nouvelle pour le pays pour la simple raison qu’un festival ça célèbre des films. Nous nous précipitons d’aller à l’autre bout de la scène au lieu de commencer en amont par appuyer d’abord le création », pense-t-il.
Il a ajouté : « La création est au centre, il faut d’abord appuyer la création, par la suite, pour la promotion de ces créations, il faudra absolument des cadres tels que des festivals, des marchés des films et surtout des rencontres professionnelles de grande qualité pouvant effectivement créer l’engouement à la fois des spectateurs mais également d’autres acteurs du cinéma africain ou du monde ».
Cadre de coopération, formation et financement des créations
La création d’un nouveau festival du cinéma ne doit pas être un appât de gain sinon basta. Le coup d’épaule des cinéastes rd-congolais et des organisateurs des festivals notamment doit être reconnu à sa juste valeur. D’où, coopérer avec eux s’avère une alternative pour une communion d’idées dans le but de développer le cinéma rd-congolais selon Tshoper Kabambi. « Je proposerais au ministere d’organiser une rencontre avec les Festivals existant pour établir un cadre de coopération qui servira le pays et la vision », a proposé l’initiateur du FICKIN.
Pour sa part, Nancy Adjani livre un plaidoyer pour des subventions dans le secteur cinématographique. En outre, mettre des personnes compétentes, qui connaissent le secteur pour le développement du cinéma. « Il faudra à un moment donné qu’on arrête de tout politiser parce qu’on ne veut pas tous faire la politique. On veut juste vivre de notre art. Nous avons du mal à signer une audience pour rencontrer la ministre. Et mettre des technocrates, des personnes compétentes sur un domaine. Laissez le domaine à ceux qui font le cinéma », a-t-elle plaidé : « Laissez la politique à ceux qui font la politique. Essayons de nous unir, de nous comprendre, de subvenir aux besoins de l’autre ».
Plaidant pour la formation et le financement des créations notamment, Okoko Nyumbaiza quant à lui estime que le ministère de la culture, arts et patrimoines doit d’abord faire un état des lieux, ensuite des actions de manière parallèle dans l’appui de nouvelles structures et dans la restructuration du secteur.
« Ce que devait faire le ministère de la culture, c’est d’abord faire un état des lieux du secteur cinéma en complément à l’étude publiée en octobre 2021 par l’UNESCO, l’industrie du film en Afrique. Il faut que nous sachions qui forme les jeunes dans le cinéma, qui appuie la production locale, qui distribue le cinéma local, qui diffuse le cinéma local et qui fait la promotion notamment des festivals », a-t-il proposé.
Il a ajouté : « Et puis à la fin, il faudrait faire des actions de manière parallèle. D’un côté, on appuie les structures existantes ou de nouvelles structures qui seront probablement innovantes et d’autre part, continuer à restructurer le secteur, notamment accélérer les travaux du centre culturel congolais qui va abriter également l’INA ».
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CHADRACK MPERENG