Décédé à Abidjan, en Côte d’Ivoire, le monde entier rend hommage à Papa Wemba. Né dans une famille modeste d’un militaire et d’une pleureuse professionnelle, le chanteur est l’un des Congolais à avoir remporté un succès sans précédent au niveau international. Symbole de l’élégance et de la réussite, cet artiste talentueux a aussi influencé plusieurs pratiques linguistiques et sociales de plusieurs générations. Didier M’buy, doctorant en Sciences de l’Information et de la Communication a l’IFASIC aborde cet autre aspect de Papa Wemba.
Didier Mbuy, vous avez suivi au fil des ans le parcours de Papa Wemba. Est-ce qu’on peut affirmer que le chanteur a exercé une influence sociale sur le public, ses mélomanes ?
Absolument. L’influence sociale de Papa Wemba sur les Congolais est très perceptible. Comment pouvait-il en être autrement pour un artiste qui a touché 4 générations ?
A quoi faites-vous allusion lorsque vous parlez de 4 générations ?
Papa Wemba a débuté sa carrière musicale en 1969 dans Zaiko. Il a impacté la génération de ceux qui sont aujourd’hui des cadres dans les entreprises, des parlementaires et autres. Il a ensuite créé Viva la Musica, ce qui correspondait à une autre génération. En créant enfin le groupe Nouvelle Ecrita à la fin des années 90, il a touché la « génération Wenge » des jeunes des années 80. Avec l’album Fula Ngenge, il a touché les jeunes qui sont sous l’influence du rap et de RNB.
Quand j’ai appris la mort de Papa Wemba, j’ai tout de suite pensé à l’éditorial du quotidien belge « Le soir » qui titrait au lendemain de la mort de Michael Jackson « Nous avons tous quelque chose de Michael Jackson », je me suis dit : Nous avons tous quelque chose de Papa Wemba. Sous la douche, nous sommes des chanteurs Papa Wemba et dans la vie nous sommes des élégants Papa Wemba. Il voulait rester jeune et a influencé la tenue vestimentaire des jeunes.
Lorsqu’on parle d’influence de Papa Wemba sur les jeunes, on voit d’abord la sape. Etait-ce le seul pôle d’influence ?
A première vue, il n’y a que la sape. Mais quand l’on voit d’une part les origines modestes de Papa Wemba, né à Lubefu d’un père ancien combattant de la Force publique et d’une mère pleureuse. Lorsqu’on voit sa brillante carrière, il symbolise le sens de la gagne, la réalisation de soi, la race de vaincre. Il avait en lui cette folle envie de vaincre. Papa Wemba est l’aîné du sexe masculin de sa famille. On l’appelle « Papa » déjà quand il est enfant. Dans certaines traditions de la RDC, l’aîné du sexe masculin assure la protection et la responsabilité de la famille élargie. Et de ce point de vue, il devrait absolument réussir pour faire la fierté de son père.
Le langage de Papa Wemba, son expression verbale a-t-elle eu des effets sur le lingala, la langue dans laquelle il exécutait la plupart des chansons ?
Tout à fait. Papa Wemba a inoculé dans le langage kinois quelques slogans et phrases qui sont restés dans le parler de Kinshasa. Lorsqu’il revient d’Europe après avoir rencontré Nyarkos (l’un des Congolais qui adulaient la sape), il a dit de ce dernier qu’il était « bien sapé, bien parfumé et bien coiffé». Il y a aussi d’autres expressions comme « Mangrokoto », « Kento ya ngolo, Inzo ya ngolo, mutuka ya ngolo » ou encore « Taureau sans allure ».
Que signifie chacune de ces expressions ?
Atelemaki kaka « bien sapé, bien parfumé et bien coiffé». Cette expression fait allusion à l’élégance. Quand il dit taureau sans allure, cela veut dire que vous avez du mal à marier les couleurs. « Kento ya ngolo, Inzo ya ngolo, mutuka ya ngolo » cela veut dire qu’il faut avoir une bonne femme, une maison somptueuse et une voiture somptueuse aussi. Le message sous-jacent est de dire qu’au-delà de toute jouissance, pensez à stabiliser votre vie. « Mangrokoto » renvoie à une salutation respectueuse, le respect des aînés qui reste une valeur en Afrique. J’aimerais aussi saisir cette occasion pour parler du « Langila », le lingala truffé des mots déformés et d’emprunts divers y compris du français. King Kester a promu cette langue. Ainsi en Langila on dit par exemple « Pleurejake » pour pleurer, Petrus pour petit ou petite, Palestine pour palais au lieu de dire simplement maison. On peut considérer que ce langage est né au village Molokai. Molokai étant l’anagramme du fief de Papa Wemba dans le quartier de Matonge.
Cette influence sociale de Papa Wemba a-t-elle décliné ou est-elle restée constante au fil des ans?
Lorsqu’on a eu à impacter depuis 1969, c’est normal que l’influence diminue mais elle n’a jamais disparu malgré l’avènement de nouvelles vedettes sur la scène musicale congolaise avec les Fally et Ferre. On a aussi remarqué que Papa Wemba avait grandi en maturité et responsabilité. Vous avez remarqué qu’il ne faisait plus l’apologie des couturiers français, italiens et autres dont il n’obtenait rien en retour. La preuve est qu’il est mort sur scène en Côte d’Ivoire avec une collection 2016 de Dolce & Gabana mais il n’a pas eu à en parler pendant son concert.
Lorsque Papa Wemba chante les shegues, ces enfants en rupture familiale, les romains de Kinshasa ou les New Jack, ces jeunes qui trainent dans les rues de Bruxelles. Ne fait-il pas l’apologie de la délinquance ?
Non, il ne fait pas l’apologie de la délinquance. Dire qu’il faisait l’apologie de la délinquance, c’est rejoindre la thèse de l’auteur Eddy Engulu qui a écrit : au temps caustique, les enfants de Mobutu et de Papa Wemba. Pour lui, ces deux personnages ont eu à dépraver les mœurs des jeunes. Mais à chaque fois qu’on évoque la relation entre Papa Wemba et les Shégués [enfants de la rue], moi je pense à Alfred Nobel. Lorsqu’il invente la dynamite, c’est pour casser des blocs des pierres dans les carrières. Mais il sera surpris que l’homme utilise son invention pour des guerres et des attentats. Finalement pour s’en repentir et avoir une conscience tranquille, l’inventeur a créé le prix Nobel pour récompenser tous ceux qui œuvraient pour faire avancer l’humanité. Je suis tenté de dire que Papa n’a pas été compris par certains jeunes. Le principal message était que les jeunes vivant dans la rue pouvaient partir de rien et bien gagner leurs vies. Et qu’il ne fallait pas nécessairement verser dans la délinquance juvénile.
Est-ce que sa voix portait parmi ses pairs ? Comment était-il considéré ?
Déjà il n’avait pas à parler. Son seul parcours mérite beaucoup de respect et considération. Il quitte Lubefu et intègre Zaiko ou il côtoie des personnes comme Evoloko et Gina Efonge, et il arrive à s’imposer, ce n’est pas donné au premier venu. Papa Wemba a tenu le coup. Sa voix comptait absolument, raison pour laquelle les musiciens congolais s’étaient réunis autour de lui peu avant sa mort avec le concept Bomoko (unité) pour mettre fin à la polémique infantile et redynamiser la musique congolaise.
Comment expliquer la force de cette influence, était-ce liée au personnage ou à son environnement?
C’est lié aux deux facteurs. Son influence est liée à l’environnement parce que l’environnement façonne le personnage. Et par rapport au personnage même de Papa Wemba, il a été la réponse vivante à plusieurs questions de notre société. Il ne pouvait ainsi être que lui avec ses qualités et défauts que dans le contexte précis de Kinshasa et de la RDC. N’oubliez pas que nous sommes un peuple atypique.
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