Droits d’auteur en RDC: Junior Luyindula éclaire l’opinion sur le danger de l’arrêté d’Astrid Madiya

Ne faisant pas objet des débats depuis sa publication, l’arrêté de la ministre rd-congolaise de la Culture et des Arts, Astrid Madiya dérange et risque de provoquer des tensions sociales dans un futur proche avec le prochain gouvernement.

Signé pour plaire aux bourreaux de la Société congolaise des droits d’auteur et droits voisins – SOCODA -, cet arrêté ne mérite pas d’être appliqué et d’être respecté par tous les corps de métiers concernés par les droits d’auteur en République Démocratique du Congo.

Pour interpeller le président de la Rd-Congo, Félix Antoine Tshisekedi, le parlement (Assemblée nationale et Sénat) et la justice, Junior Luyindula, juriste et expert en droit des NTIC et de la propriété intellectuelle nous éclaire à travers cette analyse:

« Dangers de l’arrêté du 8 février 2019 portant mesures d’application de l’Ordonnance-loi n° 86-033 du 05 avril 1986 portant protection des droits d’auteur et des droits voisins.


Contexte
Le Ministre de la Culture et des arts avait émis le 8 février 2019 un Arrêté portant mesures d’application de l’Ordonnance-loi n° 86-033 du 05 avril 1986 portant protection des droits d’auteur et des droits voisins.


Le Ministre a également pris, par la suite, le 21 mars 2019 un arrêté portant approbation du barème tarifaire des redevances des droits d’auteur et droits voisins dues à la SOCODA.


Champ d’application
Le champ d’application de deux arrêtés, très vastes, vise des œuvres protégées par le droit d’auteur, notamment :
– Les œuvres littéraires tels les romans, poèmes, pièces de théâtre, ouvrages de référence ou articles de journaux ;
– Les programmes d’ordinateur, les bases de données ;
– Les films, les compositions musicales et les œuvres chorégraphiques ;
– Les œuvres artistiques telles que les peintures, dessins, photographies et sculptures ;
– Les œuvres d’architecture ; et
Les créations publicitaires, les cartes et les dessins techniques.
La liste des œuvres concernée par l’arrêté n’est pas exhaustive.


Etude et analyse de l’arrêté du 8 février 2019
1/ Le rôle de la société de gestion collective
Les droits de l’auteur correspondent à un droit de propriété sur ses œuvres. Celui qui en est titulaire est en mesure d’autoriser ou d’interdire toute reproduction ou représentation de l’œuvre. Un écrivain peut négocier avec un éditeur un contrat portant sur la publication et la distribution d’un livre. Et un musicien peut accepter que sa musique ou son interprétation soit enregistrée sur disque compact. Ces exemples montrent de quelle manière les titulaires de droits peuvent exercer leurs droits personnellement.


Mais la gestion individuelle des droits est pratiquement impossible pour certains types d’utilisation. Un auteur ne peut pas se mettre en rapport avec chaque station de radio ou chaîne de télévision pour négocier les licences et la rémunération afférentes à l’utilisation de ses œuvres. Inversement, il n’est pas non plus envisageable pour un organisme de radiodiffusion de solliciter auprès de chaque auteur l’autorisation expresse d’exploiter une œuvre protégée. L’impossibilité pratique dans laquelle se trouvent aussi bien les titulaires de droits que les utilisateurs de gérer ces activités individuellement, a rendu nécessaire depuis 2011 de reconnaitre à un organisme de gestion collective, la SOCODA, le rôle de percevoir et de répartir les droits des créateurs des œuvres de l’esprit protégées par la loi.

La perception des droits par la SOCODA pour le compte de l’auteur compositeur ou de l’artiste-interprète, est restée facultative en sorte que ce dernier gardait la faculté de l’exercer personnellement. Or actuellement avec l’arrêté du 8 février 2019, la SOCODA peut accorder des autorisations d’exploitation de leurs œuvres sans leurs accords (art 6).

2/ Autorisation sur l’exploitation des œuvres d’esprit
Tout exploitant des œuvres de l’esprit, tels que des organismes de radiodiffusion, des éditeurs, voire des établissements de divertissement (c’est-à-dire des bars ou des boîtes de nuit), doivent impérativement obtenir l’autorisation de la SOCODA.
L’arrête retire à l’auteur non affilié à la SOCODA tant congolais qu’étranger, la gestion individuelle de ses propres œuvres. Les autorisations d’exploitation, que l’on appelle communément des “licences” ne seront attribué que par la SOCODA.
Ces dispositions violent les prescrits de l’ordonnance loi n°86-033 du 05 avril 1986 relative à la protection des droits d’auteur et de droit voisins et les principes du droit administratif. En effet, l’article 20 de l’ordonnance-loi précitée dispose : « L’auteur a le droit d’exploiter lui-même son œuvre ou de céder ses droits d’exploitation (….) de manière à en tirer, s’il y a lieu, un profit pécuniaire ».


Les artistes-interprètes et les producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes ont également qualité pour gérer et défendre eux-mêmes leurs droits conformément à l’article 83 de l’ordonnance-loi n°86-033.

Aucune disposition de l’ordonnance-loi no n°86-033 du 05 avril 1986 ne dispensent à la SOCODA de justifier qu’elles assurent la gestion de telle ou telle œuvre par suite d’un mandat. L’article 85 de l’ordonnance-loi précise d’ailleurs que « Sont soumises à l’autorisation écrite de l’artiste interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public. »

Qui plus est, la SOCODA n’ayant signé aucun accord de réciprocité avec les sociétés de gestion collective étrangères, l’arrêté ne peut pas se suppléer à la volonté des parties surtout que ces derniers ne sont pas régis par le même droit.

Par ailleurs, les licences de la SOCODA revêtent un caractère administratif (voir art 1, 2 et 14 dudit arrêté), bénéficiant ainsi du « privilège du préalable » ce qui impose aux exploitants et même aux auteur de se conformer avant toute contestation devant une juridiction administrative. Pourtant la SOCODA est une société privée et non un service public à gestion public ; ses dirigeants ne sont pas des autorités administratives et ses contentieux relèvent de la compétence du juge judiciaire.


3/ Enregistrement des entreprises « reproduisant des œuvres d’esprit musicales, littéraires et artistiques ».

L’arrêté contraint les entreprises telles que les éditeurs, les imprimeries et les usines textiles, sous peine des poursuites judiciaires, de s’enregistrer auprès de la SOCODA en vue d’obtenir des licences (Voir art 44 de l’arrêté du 8 février 2019).

Ces entreprises sont présumées exploiter des œuvres d’esprit alors qu’elles pourraient produire des œuvres empreintes d’aucune originalité.

Les dispositions de l’article 44 dudit viole les dispositions de l’article 5 de l’ordonnance loi n°86-033 du 05 avril 1986, qui subordonne la protection par les droits d’auteur à l’exigence de l’originalité de l’œuvre, il convient surtout de s’interroger sur l’inapplication de ce critère pour les usines textiles.

Les usines textiles obtiennent la protection des reliefs et motifs repris sur les vêtements ou pagnes auprès du Ministère de l’industrie à titre de protection de dessin et modèle industriel. La SOCODA ne devrait donc pas être autorisé d’exiger des redevances sur les produits de ces entreprises car le droit congolais ne consacre pas le principe de cumul de protection.

Le cumul de protection des marques, dessins et modèles industriels en droit de la propriété industrielle et de la propriété littéraire et artistique, est un principe totalement discutable dès lors le moment où aucune législation congolaise ne l’évoque expressément. Par ailleurs d’autres principes en la matière existent : celui de la séparation de protection et du chevauchement de protection.

4/ Inadaptation de l’arrêté aux technologies de l’information et de la communication

Sonneries téléphoniques
L’exploitation digitale de la musique sur téléphone se fait de deux manières, le téléchargement permanent et le téléchargement limité ou la demande.

Par téléchargement permanant, la musique est transférée d’un site web à un téléphone mobile.

Dans le cas du téléchargement limité ou à la demande, le fichier de la musique devient inutilisable à la fin de la souscription, ou encore la musique est diffusée à l’auditeur pour lui permettre de l’écouter pour un nombre de fois déterminé pendant sa période de souscription.

Actuellement, l’industrie de téléphone mobile en RDC utilise le processus du téléchargement limité ou à la demande : La musique est téléchargée soit pour les sonneries normales qui jouent pour la réception du récepteur de l’appel, soit pour la sonnerie d’attente, qui joue pour la réception de l’émetteur lorsque son appel est placé en attente.

Une autre utilisation récente est mieux connue sous son appellation anglaise de call ring back tonne (CRBT), il s’agit de la sonnerie ou plus exactement de la musique qui joue à l’oreille de l’émetteur lorsque le téléphone du récepteur sonne, la musique n’est par téléchargée, lorsque le récepteur reçoit l’appel, l’opérateur de téléphone envoie la musique à l’émetteur qui a souscrit au service pour qu’il l’écoute.

Des centaines des tonalités peuvent être téléchargées ou fixées par le CRBT sur des réseaux téléphoniques via des technologies qui ne sont pas reliées au réseau internet.

Cependant, l’arrêté en son article 24, en classifiant les tonalités téléphoniques comme une exploitation des œuvres de l’esprit littéraires et artistiques sur internet, les souscrit toutes dans le mode de téléchargement permanent.

L’arrêté ne distingue pas qui est redevable de la reproduction de la sonnerie et qu’il est pour son exécution publique.

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La reproduction de la musique sur les réseaux téléphoniques par les fournisseurs de contenu ou des applications mobiles, devraient être distinguées de sa mise en disposition par les sociétés télécommunications. En effet, les licences de reproduction et d’exécution publique ne sont pas tarifés de la même manière.


Les bases des données numériques
Le domaine du droit d’auteur et des droits connexes s’est énormément élargi grâce aux progrès techniques enregistrés au cours des dernières décennies, qui ont apporté de nouvelles manières de diffuser des œuvres par l’Internet n’est que l’étape la plus récente de cette évolution, qui soulève de nouvelles questions concernant le droit d’auteur.


L’utilisateur du réseau internet qui désire accéder à de la musique, des vidéos ou des livres (protégeables par les droits d’auteur) doit s’abonner auprès de plusieurs providers.


Tous les providers ne sont pas responsables de l’exploitation des œuvres d’esprit sous forme des données sur Internet. Les fournisseurs de contenu qui stockent ou permettent le stockage de ses données (Facebook, Youtube, Media congo, Baziks,…), ils différencient avec les autres providers qui permettent pour les uns l’accès au réseau internet (Vodacom, Orange RDC, Microcom,..) et pour d’autres l’hébergement des sites web.


L’arrêté du 8 février 2019 en son article 24 impute l’exploitation des œuvres sur internet à tous les providers, notamment le fournisseur d’accès qui assume ainsi la responsabilité que le fournisseur des contenus et d’hébergement.


Si l’implication du fournisseur des contenus et d’hébergement n’est pas discutable dans l’acheminement et stockage des données protégées par le droit d’auteur, les choses ne sont pas toujours aussi simples pour les fournisseurs d’accès qui ne fournit uniquement la connexion. Ces derniers devraient donc être tenus comme irresponsables ».

JUNIOR LUYINDULA
Juriste spécialisé en droit de NTIC et de la propriété intellectuelle