Le grand défi de l’industrie de la bande dessinée en Rd-Congo

Art populaire, multi-générationnel et universel, la bande-dessinée continue de faire rêver. Le 9ème art qui constitue une expression graphique et textuelle, nourrit ostensiblement le quotidien de tout un peuple.

En Rd-Congo, la bande-dessinée a un passé dithyrambique. Des bédéistes, revigorés par une rigueur sans faille, un talent atypique et un style plutôt dynamique et vaudevillesque ont fait parler la poudre. Les prouesses de la revue Jeunes pour Jeunes, l’assiduité incommensurable de Papa Mfumu’eto et les techniques remarquables des phénoménaux Barly Baruti, Kash Thembo, Asimba Bathy, Serge Diantantu ou encore Hallain Paluku ont permis à la BD rd-congolaise d’être sur le devant de la scène.

Cependant, cette bande-dessinée qui aura biberonné et fait rêver tout un pays et continent, semble faire grise mine à cause notamment d’un manque d’industrie dû essentiellement aux problèmes socioéconomiques que connaissent la Rd-Congo. Une épée de Damoclès qui malheureusement, affecte le marché du 9ème art en dépit d’une ruée spectaculaire de plusieurs jeunes bédéistes qui se font de plus en plus remarquer dans le secteur. À cela s’ajoute, une véritable cassure entre les créateurs, les éditeurs et les distributeurs.

Remettre la bande-dessinée sur le sens de la marche s’avère impératif pour pérenniser les acquis identitaires de cet art populaire en fédérant les efforts et en travaillant sur la formation selon le bédéiste Barly Baruti.

« Pour arriver à vendre, il faut convaincre, pour arriver à convaincre, il faut faire savoir. Je crois qu’en RDC et en Afrique en général, on souffre pour ce manque d’organisation qui inclut une vulgarisation assez conséquente, une sensibilisation, et après il faut passer à la production, une vraie production. Mais pour arriver à une vraie production, il faut une très bonne formation dans le métier de la bande-dessinée », déclare-t-il.

Et de rajouter : « Quand je parle de la formation, j’inclus aussi les gens qui sont autour de ce métier. Le succès que peut avoir la bande-dessinée au Congo, je le résume à ces mots : la formation, la production et la diffusion. On essaye de le faire mais il n’y a pas encore une vraie constance de cette prise de conscience ».

L’auteur de « Chaos debout à Kinshasa » pense par ailleurs qu’il faut intensément travailler pour une véritable consommation locale de la bande-dessinée par les rd-congolais. « Je suis très optimiste, la bande-dessinée va exploser comme un média fort, populaire pour arriver à toucher beaucoup de monde et contribuer au développement », poursuit-il.

Reconnaissant un marché potentiel évident de la bande-dessinée en Rd-Congo qui reste pionnière du 9ème art en Afrique, Thembo Muhindo dit Kash Thembo estime que la BD du pays souffre d’un manque d’infrastructures appropriées : l’édition et la diffusion. Il pense tout de même que le pays peut y remédier en mettant en place, une véritable politique culturelle.

« Le mécanisme à mettre en place est une politique culturelle cohérente à la mesure de l’immense vivier artistique congolais. Les artistes ne pourront jamais donner le meilleur d’eux-mêmes que dans un environnement où un auteur des BD se limitera à créer et que des vrais éditeurs et des diffuseurs assureront le reste de la production », estime-t-il.

La BD rd-congolaise qui continue à battre en brèche pour le regain d’une culture du 9ème est aujourd’hui tentée de s’adapter au nouveau monde de la bande-dessinée numérique. Pas une panacée mais important selon le producteur de « Mbote Kinshasa« .

Un avis partagé par le bédéiste Mola Boyika qui pense que le rd-congolais n’est pas encore prêt à recevoir une bande-dessinée numérique tant que la version papier demeure en vue. « Par rapport à la bande-dessinée numérique, il y a un problème qui se pose. La population congolaise n’est pas encore prête pour le numérique. Il y a une poignée de personnes qui est prête pour ça mais pas la majorité. On est encore à l’état manuel, nous on veut le toucher », déclare-t-il.

Malgré son passé élogieux et son immense réservoir actuel de la nouvelle génération montante, la bande-dessinée semble pourtant trottiner. Relevant un problème de culture et d’encadrement du marché, Daniel Sixte Kakinda plaide pour une proposition de loi qui pourra en grande partie favoriser la création d’une industrie de la BD.

« La proposition d’un projet de loi est indispensable, ça permet d’encadrer le marché de la bande-dessinée. Ce qui est tout à fait normal et logique parce-que l’État aussi doit s’investir dans l’art en général et dans la bande-dessinée en particulier. Quand vous arrivez en Belgique, il existe le Musée Hergé de la BD. C’est un marché qui existe et qui sûrement peut générer des millions […] Si l’État, au-delà de créer une loi, sait encadrer ce marché, créer une vraie industrie de la BD, je pense que tout le monde sera gagnant », dit-il.

La bande-dessinée rd-congolaise a encore du talent à revendre. Depuis l’époque dorée de la BD, plusieurs rd-congolais et africains sont restés friands du savoir-faire d’une constellation des jeunes talentueux et fougueux au style plutôt pittoresque et burlesque.

En dépit des efforts considérables des bédéistes du pays avec l’organisation des salons, festivals et ateliers et la mise en place de l’ACRIA, association visant à promouvoir le 9ème art, la BD rd-congolaise a aujourd’hui besoin de plus d’adrénaline pour retrouver son engouement d’antan. Un engouement qui passe par un engagement de tous dans la mise en œuvre des moyens et de la formation. L’implication de Kinshasa s’impose pour arriver à voir la lumière au bout du tunnel.

CHADRACK MPERENG