Les Africains sont (presque) toujours absents des hit-parades des plasticiens les plus cotés sur le marché ou des palmarès des « figures de pouvoir » qu’affectionnent les revues d’art anglo-saxonnes. Mais l’année 2015 pourrait bien se placer sous le signe de la revanche. À la Biennale de Venise, véritables olympiades de la planète arty, le commissaire nigérian Okwui Enwezor a promis « un nombre substantiel » d’artistes africains. D’autres créateurs auront les honneurs de musées ou d’événements marquants comme les Biennales de Sharjah, dans les Emirats arabes unis, ou de Lyon. Nous en avons sélectionné cinq, un choix subjectif, restrictif mais assumé.
- Barthélémy Toguo, Venise en ligne de mire
Peu d’indices ont filtré sur les artistes invités à la Biennale de Venise (9 mai-22 novembre). Mais d’après nos informations, le Camerounais Barthélémy Toguo sera de la partie. Le doigt sur le pouls de nos sociétés, cet artiste engagé en pointe les soubresauts et les mutations. À Venise, il devrait déployer soixante-quinze sculptures en bois représentant des tampons administratifs géants. Leurs slogans tournent autour des idées d’exil et de migration, de la violence urbaine, de la militarisation, des nouvelles maladies…
- Massinissa Selmani, quelques grammes de finesse dans un monde de brut
C’est le petit jeune qui monte : Massinissa Selmani exposera à la Biennale de Venise. Avant cela, il sera à l’affiche du Centre de création contemporaine de Tours (31 janvier-29 mars) et dans une exposition de groupe à la galerie Mamia Bretesche à Paris. Le début de la consécration pour cet artiste algérien qui a fait du dessin sa marque de fabrique. Son trait sobre et gracile invite à lire entre les lignes, à deviner les enchaînements entre des images sans liens apparents, à combler les ellipses. De la finesse à l’état pur.
- Kader Attia, tous azimuts
En 2015, l’artiste franco-algérien Kader Attia fera feu de tout bois. Du 21 mai au 30 août, il a droit à une rétrospective au Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne. Au menu, le choc des cultures, l’héritage colonial, les dérives identitaires, autant de sujets clés d’une œuvre foncièrement politique. La question postcoloniale est au cœur de l’installation « Independence disillusionment » présentée jusqu’au 29 mars à la Biennale de Kochi-Muziris en Inde. Inspirée des timbres émis après l’indépendance des pays africains, elle vient rappeler les lendemains qui déchantent, les utopies futuristes remisées. La relation/friction entre sociétés traditionnelles et modernité occidentale traversera enfin son projet à la Biennale d’art contemporain de Lyon (10 septembre-3 janvier).
· Pascal Marthine Tayou, ici Londres
Pascal Marthine Tayou met le cap sur Londres, à la Serpentine Sackler Gallery du 4 mars au 17 mai. On connaît l’artiste camerounais pour ses grouillantes installations, bricolages satiriques jouant des tensions entre quête identitaire et consumérisme à l’échelle planétaire. Pour sa première exposition londonienne, il accompagne son univers cacophonique d’un titre ambigu, « Boomerang ». Un libellé conçu comme un « aller-retour incessant dans le domaine interdit », « des équations plastiques à mille inconnues ».
· Sammy Baloji, année Biennale
Pour Sammy Baloji, 2015 sera une année Biennale(s). Ce natif de Lubumbashi, dans la province du Katanga, au Congo Démocratique, promènera ses interrogations postcoloniales aussi bien au pavillon belge à la Biennale de Venise qu’à la Biennale de Lyon. À Venise, deux projets sont prévus : l’un sur les scarifications en République démocratique du Congo à l’époque coloniale ; l’autre sur la ségrégation urbaine dans la région du Katanga. À Lyon, place à une installation photographique fondée sur l’album du commandant Henri Pauwels, réalisé lors d’une expédition en 1911-1913 au Congo belge. Court-circuit entre passé et présent garanti.
ROXANA AZIMI