La démission surprise, le 16 octobre 2020, de la Canadienne, Catherine Cano, de son poste d’Administratrice de l’OIF, révèle une crise qui est beaucoup plus profonde qu’un simple problème relationnel.
L’ OIF pourrait bien revenir à son ancien statut d’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), qui était le sien à sa création, il y a cinquante ans.
Le clash révélateur de Catherine Cano
Jamais, l’OIF n’a connu un tel clash avec la démission tonitruante de Catherine Cano, la numéro deux de l’OIF. Un peu en compensation à la défaite de Michaëlle Jean pour accomplir un second mandat à la tête de l’ OIF, Catherine Cano avait été nommée le 26 mars 2019 au poste stratégique d’Administratrice, responsable de la gestion administrative et financière et chargée de la bonne exécution des programmes de coopération. C’est de son Québec natal que Catherine Cano a adressé, le 16 octobre 2020, un courriel pour annoncer sa démission au siège parisien de l’OIF. Cette forme inhabituelle de démission, l’absence de préavis, la motivation pour « raisons personnelles » de cette rupture et l’absence de passation de service avec son futur successeur montrent à quel point le conflit avec la Secrétaire générale Louise Mushikiwabo était devenu exacerbé, comme le confirment des personnels du siège de l’avenue Bosquet à Paris. La Canadienne avait pris soin de se féliciter d’avoir rempli son mandat notamment en matière de gestion financière et de transparence.
La vive réaction du siège de l’OIF
C’en était trop pour l’ entourage de la Secrétaire générale. Contrairement aux usages, où la discrétion est de régle, le siège de l‘OIF a réagi peu diplomatiquement dans les médias. C’est la garde rapprochée de Louise Mushikiwabo, composée notamment de ses deux anciens collaborateurs au ministère des affaires étrangères de Kigali, le tout-puissant Conseiller spécial Désiré Nyaruhirira et la directrice de la communication, Oria Vande Weghe, qui se sont chargés de minimiser cette démission en évoquant même « un soulagement », mettant en cause « ses méthodes de travail » et en insistant sur les difficultés de Catherine Cano pour s’ intégrer dans le fonctionnement de l’OIF notamment en cause « de ses relations difficiles avec le personnel ». Catherine Cano n’a pas réagi, tandis que le Canada a loué ses qualités de gestionnaire et la qualité de son travail au sein de l’OIF.
Le Grand ménage de Louise Mushikiwabo
Depuis sa prise de fonctions, le 3 janvier 2019, Louise Mushikiwabo n’a cessé de multiplier les limogeages de la quasi totalité des directeurs. Les représentants permanents de l’OIF à New York, à Genève, à Bruxelles ont été remerciés, les chefs de bureau régionaux ont été mutés, sans compter les remplacements des postes administratifs et financiers importants. Ce grand ménage a été mené à un rythme inconnu à l’OIF.
Si la constitution du cabinet de la Secrétaire générale est bien de sa seule responsabilité, en revanche, les nominations des directeurs, des représentants permanents et des chefs de bureau relèvent du Statut du personnel de l’ OIF. Des procédures et les conditions de recrutement y sont précisées. Michaëlle Jean, qui n’a pu accomplir un second mandat à la tête de l’ OIF, avait respecté scrupuleusement ces règles statutaires. Il semblerait que Louise Muhikiwabo, dans son souci d’éradiquer très vite le passé, ait pris quelques libertés avec le Statut du personnel.
Le tout-puissant conseiller spécial
Le ministère des affaires étrangères du Rwanda a toujours été au cœur de la stratégie politique du régime de Paul Kagame. Il va de soi que les notions de démocratie et de droits de l’Homme n’ ont jamais été ses priorités. Louise Mushikiwabo avait été ministre des affaires étrangères, durant 9 ans, avant d’ être élue Secrétaire générale de l’ OIF. Elle avait déjà à ses côtés Désiré Nyarurihira et Oria Vande Weghe.
Désiré Nyaruhirira est l’ homme fort de l’ OIF. Personne ne peut s’ y opposer. L’ ancien directeur de cabinet, le Français Nicolas Groper s’ en est vite aperçu. Ce conseiller-maître de la Cour des comptes, qui fut en poste dans plusieurs ambassades de France au Sahel, avait été nommé directeur de cabinet, comme gage d’une bonne gouvernance. Sous la pression constante de Désiré Nyaruhirira, il dût se résoudre à la démission, au bout de huit mois. Emmanuel Macron l’a remplacé par Jean- Marc Berthon son ancien conseiller aux droits de l’homme et à la Francophonie.Nul doute que ce nouveau directeur de cabinet sera beaucoup plus conciliant….
L’OIF est devenue inaudible
En faisant élire Louise Mushikiwabo, le président Macron avait probablement comme scénario caché de vouloir en finir avec l’OIF en tant qu’organisation politique multilatérale s’appuyant sur la langue française. La méthode disruptive du président français a rapidement fait ses effets. Les derniers épisodes internes à l’ OIF minent son fonctionnement et accélèrent son effacement. Quelques exemples récents :
– les crises électorales en Guinée et en Côte d’ Ivoire ont surtout vu les interventions de la CEDEAO sous la direction des anglophones du Ghana et du Nigeria.
– la crise centrafricaine est oubliée par l’ OIF. Sa récente disponibilité pour auditer le fichier électoral est bien tardive.
– dans sa compétition avec le Kenya pour le siège de membre non permanent au Conseil de sécurité, Djibouti a pu constater que la plupart des Etats membres de l’ OIF avaient soutenu le Kenya.
– dans sons conflit avec l’Azerbaïdjan, l’Arménie attend encore un soutien de l’ OIF. L’Arménie avait pourtant organisé le Sommet de la Francophonie, en octobre 2018, qui avait vu l’élection pde Louise Mushikiwabo.
Le XVIIII ème Sommet de la Francophonie
La grand-messe francophone devait se tenir à Tunis, les 12 et 14 décembre 2020. Pour cause de coronavirus le Sommet est évidemment reporté. Il pourrait se tenir en 2021, non plus à Tunis mais à Djerba. Le nouveau président tunisien Kaïs Saïed n’est pas très préoccupé par ce Sommet. Les préparatifs, financiers, administratifs et organisationnels sont au point mort. Le désintérêt pour cette rencontre a rarement été aussi flagrant. Il est vrai que l’une des propositions du président Macron est de réviser la Charte de l’OIF pour donner davantage la priorité à la défense et à la promotion de la langue française tout en remettant en cause les aspects politiques. Le retour à l’Agence de coopération culturelle et technique ( ACCT) de 1970 est en marche.
Avec le développement de la pandémie du coronavirus, il est peu probable que le Conseil permanent de la Francophonie puisse se réunir le 4 novembre 2020, comme initialement prévu. Il aurait été intéressant de connaître les réactions à la suite du coup de tonnerre de la démission de Catherine Cano et de voir si le XVIII ème Sommet de la Francophonie n’est pas remis aux calendes grecques.
MONDAFRIQUE.COM