Entretien avec le Franco-Malgache Ylias Akbaraly qui a fait de l’entreprise de son père un empire employant 3 000 personnes sur la Grande Ile. Ylias Akbaraly, un homme d’affaires franco-malgache de 55 ans, a repris l’entreprise de son père en 1989 alors qu’elle comptait vingt employés. Grâce à une diversification tous azimuts dans des domaines parfois risqués, le groupe Sipromad qu’il dirige aujourd’hui compte 3 000 salariés à Madagascar et affiche un chiffre d’affaires de plus de 150 millions de dollars (141,6 millions d’euros). Son conglomérat se compose d’une trentaine d’entreprises spécialisées dans la fabrication et la commercialisation de produits de grande consommation (savon, eau de Javel, bougies…) et d’autres opérant dans les secteurs de l’immobilier, la haute technologie, le tourisme, la finance, l’aviation, les énergies renouvelables… Ylias Akbaraly est considéré comme l’homme d’affaires le plus riche de Madagascar.
Qu’est-ce que le XVIe Sommet de la francophonie, qui se déroule à Antananarivo jusqu’au dimanche 27 novembre, peut apporter à Madagascar ?
Ylias Akbaraly Ce sommet est très important car c’est la première fois que Madagascar organise un événement de cette importance. Pour le pays et pour les Malgaches, c’est une richesse de voir toutes ces personnes arriver ici avec leur culture, leur façon de faire et de penser. Le monde d’aujourd’hui est global et il est donc indispensable de s’ouvrir. Le fait de recevoir la francophonie doit permettre de retirer sur les plans intellectuel, éducatif et économique beaucoup de richesses. J’espère donc que ce sommet sera suivi par beaucoup d’autres à Madagascar.
Une partie de la population déplore le coût de ce sommet, estimé à 7 millions d’euros. Ne pensez-vous pas que de tels moyens devraient d’abord servir à lutter contre la faim et la pauvreté ?
Faire la promotion d’un pays coûte de l’argent. Mais si l’on réussit l’organisation et la mise en œuvre de cet événement, il y aura un impact énorme sur le plan économique. Aujourd’hui nous dépensons, mais demain nous pouvons générer des revenus, créer des emplois, signer des contrats avec des sociétés importantes. Ce Sommet de la francophonie va permettre à des hommes d’affaires de créer des alliances stratégiques qui peuvent créer de la croissance et diminuer la pauvreté. Madagascar a plus à gagner qu’à perdre en organisant ce sommet. Il faut le voir comme un investissement.
Sur le plan économique, quelle est la situation de Madagascar aujourd’hui ?
Elle est incontestablement en train de s’améliorer. De plus en plus d’investissements se font et la croissance tourne autour de 4 % à 5 %. Les 1er et 2 décembre, il y a une conférence importante avec les bailleurs de fonds à Paris dans le but de négocier des prêts nécessaires à la construction d’infrastructures ou destinés aux secteurs de la banque, de la pêche, des mines, de l’industrie… Les institutions sont en place et il y a une stabilité [le pays a connu une forte instabilité politique de 2009 à 2013 au cours de laquelle la plupart des donateurs internationaux se sont retirés].
Même s’il reste encore beaucoup à faire, la situation est donc en train de s’améliorer. Quand on sort d’une période de transition aussi longue, où le pays a été coupé de la zone internationale, il faut un peu de temps pour rétablir des équilibres. Mais si cette stabilité se poursuit, nous allons vers une période de forte croissance.
Selon la Banque mondiale, plus de 80 % des Malgaches vivent en dessous du seuil de pauvreté. Comment faire en sorte que la population profite de cette croissance ?
Il faut lancer de grands projets dans le domaine des infrastructures, de la pêche, du tourisme, de la technologie, et c’est en ce sens que la conférence de la semaine prochaine est capitale. C’est ainsi que nous allons diminuer la pauvreté, faire baisser le chômage, créer de la consommation. Il faut un modèle qui soit attrayant pour les hommes d’affaires.
La politique doit donner le schéma pour les pousser à investir. A eux ensuite d’investir pour que la croissance amène une diminution de la pauvreté. Pour que le taux de chômage diminue, il faut embaucher. Comment embaucher ? En faisant des investissements.
Vous avez construit un empire financier en reprenant l’entreprise, à l’époque modeste, de votre père. Quels sont les secrets de votre réussite ?
C’est d’abord d’évoluer dans un pays où il y a des opportunités. La deuxième chose importante est d’avoir une bonne équipe autour de soi. Il faut aussi une vision, une stratégie, un plan. Ensuite, il faut de la patience et de la persévérance parce que les choses ne sont jamais faciles. Enfin, dans les affaires, il faut prendre des risques.
Une fois que ces conditions sont réunies, il faut des valeurs de bonne gouvernance et surtout de respect par rapport à l’environnement, mais aussi par rapport aux différents engagements qui sont pris. Tout cela permet de créer une énergie positive et c’est dans ce contexte que les choses avancent et que les obstacles tombent. Pour réussir, il faut aussi beaucoup de travail. Enfin, il est nécessaire d’avoir quelques contacts, de voyager, d’apprendre et de discuter avec des hommes d’affaires d’expérience.
Comment vit-on le fait d’être l’homme le plus riche d’un pays considéré comme l’un des plus pauvres du monde ?
Mon éducation fait que je suis assez discret. La discrétion est importante dans un pays comme celui-là, où le décalage entre les richesses est parfois énorme. Il faut toujours respecter la dignité de la personne que l’on a en face de soi. Cela passe par la manière de parler aux gens et de se comporter avec eux. Quand on est très pauvre, on est sensible à cela et il faut donc faire attention dans l’approche. Il faut également participer à la lutte contre la pauvreté. Il faut le faire par des investissements et des créations d’emplois. Aujourd’hui, nous avons embauché 3 000 personnes, ce qui permet d’en aider 15 000. Et nous allons continuer dans le secteur du tourisme, de l’aviation…
Enfin, il faut partager cette richesse. Nous avons créé la fondation Akbaraly qui intervient dans les domaines de la santé et de l’éducation. Les Malgaches n’ayant pas toujours les moyens d’accéder au système de santé, nous avons créé des unités mobiles pour aller dans les villages et soutenir la lutte contre le cancer. Nous avons aussi ouvert deux centres de santé importants dans le sud et dans le nord, où nous recevons beaucoup de malades. Les consultations et les soins y sont donnés gratuitement. En matière d’éducation, nous avons aussi ouvert des écoles et soutenu un projet en partenariat avec l’Unesco et l’ambassade américaine. Il y a enfin le projet Teach Her dans plusieurs pays d’Afrique, dont l’Ethiopie, pour la formation des instituteurs. Dans tous les pays où nous investissons, 10 % à 20 % de notre rentabilité doivent financer le domaine social.
Dans de nombreux pays, et récemment aux Etats-Unis, on a vu des hommes d’affaires devenir chefs d’Etat. Avez-vous des ambitions politiques ?
Non, absolument pas. Je n’ai aucune ambition politique mais j’en ai beaucoup dans le domaine des affaires.
L’élection de Donald Trump, pour qui l’Afrique semble loin d’être une priorité, est-elle inquiétante pour Madagascar ?
Il faut donner à Donald Trump du temps. Il est un homme d’affaires et, par nature, il est donc très pragmatique. Il est capable de changer très vite sa vision et sa stratégie en fonction de la situation qui se présente devant lui. Laissons-lui le temps de mettre en place son administration de 4 500 personnes à Washington et ailleurs.
C’est vrai qu’il n’a aucune expérience africaine. Alors faut-il lui demander d’aller vers les Africains ou aux Africains d’aller vers lui ? J’opte pour la deuxième solution. Je pense que c’est à nous de faire notre travail, notre lobby, de discuter avec les hommes d’affaires américains pour leur parler des opportunités qu’il y a en Afrique sur le plan de l’énergie, du tourisme, des infrastructures ou de la sécurité, qui est un domaine crucial pour les Américains, surtout pour ceux qui ont voté Trump. Nous devons être actifs et comprendre que les Américains ont déjà beaucoup de problèmes à régler au Proche-Orient, en Asie et à l’intérieur de leur propre pays.
PIERRE LEPIDI