En République Démocratique du Congo, la mode occupe une place prépondérante dans le quotidien de toutes les tranches d’âge. Malheureusement, il n’y a même pas une véritable industrie de ce secteur. Selon un sondage, 90% de produits consommés par les rd-congolais sont importés. Jeunes comme vieux, cassent leurs caisses pour s’offrir les vêtements très souvent confectionnés par les marques internationales comme Louis Vuitton, Zara, Hermès, Gucci et autres.
Face à ce besoin grandissant de la population rd-congolaise, jeune styliste et designer de Lubumbashi (Rd-Congo) Zoé Mukendi a dû créer sa propre marque de vêtements dénommée « Zoe Eleng’Art ». C’est dans la ville de Mbuji-Mayi qu’il a appris la couture de par son père et a créé un style inédit qui favorise la mixture entre la mode congolaise et celle de l’international. Interview.
Racontez-nous les débuts de votre carrière ?
Au début, je n’avais pas l’idée de devenir designer, mais je dois dire que je viens d’une famille des créateurs de mode dont mon grand-père et mon papa furent des grands couturiers dans ce pays. J’ai hérité ces talents d’eux. J’ai travaillé comme tout enfant qui a son papa et qui travaille toujours dans son atelier.
Je partais à l’école, je rentrais et je partais travailler avec papa. Après, j’ai décroché mon diplôme, je suis parti faire l’université. C’est après, que l’idée m’est venue d’aller évoluer ailleurs. Après, je me suis dit avant que je quitte le pays pour aller évoluer ailleurs, je dois laisser une marque, une identité congolaise pour ma famille et pour moi-même. C’est ainsi que je me suis lancé dans le monde de la mode et j’ai lancé la première collection en 2017, et c’était avec beaucoup de succès.
Quel est le secret de votre savoir-faire ?
C’est la passion, l’amour du travail et aussi ne pas imiter ce que les autres font, même si je sais qu’en imitant, je peux aussi avoir des bonnes idées. J’essaie de faire la différence, parce-que en me lançant dans la mode, j’ai observé que les faiseurs de la mode kinoise ou lushoise ou encore congolaise et africaine en général, se focalisent sur le pagne. Or, lorsque nous observons, le pagne n’est pas du tout d’origine africaine. Alors, lorsque je suis venu avec ma nouvelle vision. Je me suis dit que je ne peux pas seulement faire du pagne.
Je me suis lancé en créant pas seulement avec le pagne, mais aussi en plusieurs matières tels que les jeans, le coton, la laine et autres. C’est cela qui fait la différence entre la marque Zoe Eleng’Art et d’autres griffes africaines.
Quel sentiment ressentez-vous en habillant les personnalités rd-congolaises notamment les artistes musiciens ?
J’ai en moi un sentiment d’encouragement et de motivation. Car, vous savez lorsque vous arrivez à habiller l’icône de la musique congolaise comme Koffi Olomide, ça ne fait que vous motiver. C’est juste un sentiment d’encouragement et de motivation.
Citez-nous les personnalités politiques et les musiciens que vous aviez déjà habillés ?
Dans la musique, je citerai Koffi Olomide, Héritier Watanabe, Adolphe Domínguez, des artistes sud-africains, des artistes zambiens… Ici, au Katanga, j’ai habillé M-Joe, Madius, P-Son… et d’autres artistes locaux. Et, pour les politiciens, je tais les noms, mais j’en ai habillé plusieurs.
Comment expliquez-vous le manque d’industries textiles dans votre pays ?
Oui, c’est un frein pour le développement de la mode congolaise et j’en déplore tous les jours. Nous implorons au gouvernement de pouvoir jeter un oeil dans ce secteur qui est tant important pour l’émergence et l’économie du Congo. Vous savez, personne ne peut sortir de chez lui sans pour autant porter un habit. Si le secteur de la mode est négligé dans le pays, comment vous allez valoriser la mode, comment le pays va se développer ? C’est à ce point-là que je fais une plaidoirie devant le gouvernement de pouvoir relancer le textile congolais.
A une époque, nous avions Sotexki à Kisangani. Aujourd’hui, nous avons du mal à pouvoir trouver le motif et la matière qui nous est demandée par la clientèle congolaise.
Le marché rd-congolais est envahi par les vêtements en provenance de l’Asie, l’Europe et l’Amérique. Croyez-vous qu’un jour la production interne de la RDC pourrait rivaliser ces importations ?
Oui, je le crois. Je suis hyper motivé par rapport à cette démarche. Car, j’ai déjà commencé à la mener. Ça fait beaucoup de temps que je fais la propagande de la mode et des marques congolaises. Partout où je passe, j’ai toujours demandé aux gens de s’habiller en made in DRC.
Si vous partez dans d’autres pays comme le Bénin, le Cameroun, le Ghana, le Nigeria, vous verrez que les gens sont fiers de pouvoir porter leurs propres marques. Ici en RDC, il y a d’abord un problème d’acceptation. Les congolais n’acceptent pas leurs semblables congolais. Ils préfèrent porter ceux qui viennent de l’extérieur que ceux qui sont du Congo. Mais, je reste quand même positif et optimiste à croire qu’un jour, nos marques congolaises arriveront à rivaliser ceux-là.
Personnellement, toute personne qui croise la marque Zoe Eleng’Art s’attache toujours avec elle. Je reste convaincu que nous y arriverons et nous sommes capables de le faire.
Êtes-vous membre d’une association de stylistes ?
Oui, je suis membre d’une initiative des stylistes que moi-même j’ai lancé et qui s’appelle « Un pour la mode ». Elle regroupe tous les professionnels de la mode du Grand Katanga. J’ai été élu comme président et représentant des stylistes et modélistes du Grand Katanga. Je suis aussi membre dans plusieurs structures au niveau national. Nous faisons partie de cette association qui encadre les stylistes et les jeunes dans la mode.
Comment entrevoyez-vous les prochaines années ?
Nous sommes en train de mettre en place un mécanisme qui puisse être développé et consommé à l’échelle nationale et internationale en proposant des vêtements qu’il faut au moment qu’il faut. Vous savez nous les africains, nous ne sommes pas habitués à s’habiller à la mode. Vous pouvez voir quelqu’un porter les habits d’été en hiver. C’est un problème de vulgarisation.
Nous sommes obligés d’informer les consommateurs congolais en leur que ces genres d’habits se portent à tel ou tel autre moment de l’année. Comment amener la population africaine à s’habiller avec sa propre mode ? J’espère que nous y arriverons avec beaucoup de courage et de persévérance. Et, aussi nous pensons installer les shops Zoe Eleng’Art dans plusieurs villes d’Afrique, même du monde pour que nos produits soient plus consommés et redonner une autre image de la mode congolaise et africaine.
Quels conseils prodiguez-vous aux aspirants dans votre domaine ?
Je demande aux jeunes aspirants de devenir créateur ou designer, de croire en leurs capacités, en leurs motivations et de croire en soi-même, mais aussi, d’être formés. La formation est importante dans le domaine de la mode. Vous pouvez avoir des créations, des imaginations, des idées, mais aussi il faut avoir un soubassement, une connaissance assidue dans le domaine.
Le domaine de la mode est un domaine magnifique et noble. S’il faudrait le faire, il faut le faire avec beaucoup d’amour, de passion et de persévérance. Vous savez dans tous les domaines, c’est toujours compliqué, mais il faut y croire, prendre votre conscience et travailler dur pour votre avenir.
CHADRACK MPERENG