La Belgique a officiellement, par l’entremise de son Premier ministre, Alexander de Croo, mis à la disposition de la Rd-Congo une liste d’inventaire complet des objets culturels venus de la Rd-Congo pendant la période coloniale. La réappropriation de la mémoire nationale s’annonce alors bien. Contrairement à ce que d’aucuns pensent, ce ne sont pas les 84 mille objets ethnographiques et organologiques repris dans l’inventaire remis au Premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde qui seront restitués à la Rd-Congo.
Les conditions de leur acquisition devront encore être bien étudiées et ils devront faire l’objet d’études de provenance afin de déterminer et d’entamer le processus proprement dit de restitution et de retour. Pour ce faire, une commission mixte d’experts rd-congolais et belges sera mise en place très prochainement avec pour mission d’évaluer les conditions d’acquisition des biens visés par le champ d’application de la loi et de conclure au caractère légitime ou illégitime de l’acquisition par l’État belge de ceux-ci, explique Thomas Dermine, secrétaire d’État à la politique scientifique fédérale belge.
Le Musée royale de l’Afrique centrale -Africa Museum-, où sont logées ces œuvres, dispose des archives bien documentées sur le lieu où les objets ont été acquis, ainsi que sur ceux qui les ont acquis. La méthode exacte d’acquisition est souvent inconnue. À cet effet, plus de 2 millions d’euros sont disponibilisés par la Belgique pour le renforcement de ces études de provenance, fait savoir Thomas Dermine au cours de l’interview. La commission d’experts de deux pays va bien étudier cela en se servant des pistes déjà existantes.
Cet inventaire comprend quatre parties : tout d’abord l’inventaire des quelque 42 000 objets ethnographiques provenant avec certitude de la RDC. Ensuite, celui de 34 000 pièces ethnographiques enregistrées comme provenant d’Afrique centrale ; la détermination de leur origine géographique précise nécessite des recherches scientifiques en collaboration avec nos partenaires congolais. À cela s’ajoute la description des 7 000 instruments de musique issus de la RDC, ainsi que celle d’environ 200 instruments de musique d’Afrique centrale.
Par ailleurs, la restitution de ce patrimoine n’entrave en rien la coopération culturelle entre la Belgique et la Rd-Congo. « Il existe toujours un patrimoine culturel important au Congo et au Rwanda et ces pays demandent une collaboration pour le renforcement de leurs capacités. Le MRAC continuera à investir dans le renforcement des capacités de musées africains en matière de gestion et de restauration des collections, de stockage, de numérisation d’inventaires et d’archives et d’activités orientées vers le public », précise le secrétaire d’État belge. Interview.
Il y a quelques semaines, par l’entremise du Premier ministre belge Alexander de Croo, la Belgique a remis au Premier ministre RD-congolais une liste d’inventaire complet des objets d’art venus de la RD-Congo pendant la période coloniale, qu’en est-il de la suite de ce processus ?
Avant tout, je tiens à vous transmettre quelques informations générales quant à l’inventaire qui a été remis au Premier Ministre de la République démocratique du Congo (RDC), Monsieur Jean Michel Sama Lukonde, le 17 février dernier.
Afin d’assurer un dialogue transparent entre la RDC et la Belgique quant à la reconstitution du patrimoine culturel congolais, il est capital que les autorités congolaises disposent d’un inventaire des collections conservées en Belgique. Sur le disque dur qui a été remis, on trouve l’inventaire des collections ethnographiques et organologiques de la RDC qui sont conservées au Musée royal de l’Afrique centrale – MRAC -.
Dans une prochaine phase, une version en ligne de l’inventaire sera disponible. Des collègues de l’Institut des Musées nationaux du Congo -IMNC- pourront dès lors identifier les priorités d’une recherche conjointe sur la provenance.
Le MRAC continuera à favoriser une collaboration de fond solide avec nos partenaires congolais, non seulement ceux de l’IMNC, mais également ceux du monde scientifique, universitaire et culturel au sens large en RDC. Ce geste symbolique fait donc partie de notre démarche dans le cadre du renforcement des collaborations scientifiques et culturelles.
Ensuite notre approche s’appuie sur deux textes : un avant-projet de loi qui reconnait le caractère aliénable des collections fédérales à des fins de restitution, ainsi qu’un projet d’accord bilatéral de coopération scientifique et culturelle avec l’état d’origine des biens restituables. A ce stade, les discussions diplomatiques sont en cours avec la République démocratique du Congo concernant les modalités de cet accord de coopération.
Fin avril, l’avant-projet de loi devrait avoir passé le stade du Conseil d’Etat et sera soumis aux parlementaires. Avant l’été, ce cadre juridique devrait être finalisé en Belgique.
En parallèle donc, nous travaillons dans le cadre diplomatique avec nos partenaires congolais afin de déterminer ensemble les modalités de l’accord de coopération culturelle et scientifique permettant de concrétiser cette approche et mettre sur pieds une commission mixte d’experts congolais et belges. J’espère que ces experts pourront commencer leurs travaux avant la fin de l’année. Je suis optimiste car le gouvernement congolais et le gouvernement belge sont tout à fait en phase.
Comment le retour de ce patrimoine RD-congolais va réellement se passer ? Est-ce par groupe ou y a-t-il d’autres modalités ?
Je tiens à souligner que les 84 000 objets repris dans l’inventaire devront faire l’objet d’études de provenance pour déterminer les conditions de leur acquisition et entamer le processus de restitution et de retour. L’objectif est double : augmenter le savoir scientifique et historique lié à ces objets et pouvoir déterminer si les conditions d’acquisitions ont été légitimes ou non. En effet, bien que le MRAC dispose d’archives bien documentées sur le lieu où les objets ont été acquis, ainsi que sur ceux qui les ont acquis, la méthode exacte d’acquisition est souvent inconnue. A cet effet, j’ai dégagé plus de 2 millions € pour le renforcement de ces études de provenance.
La commission mixte d’experts aura pour mission d’évaluer les conditions d’acquisition des biens visés par le champ d’application de la loi et de conclure au caractère légitime ou illégitime de l’acquisition par l’État belge de ceux-ci. La commission se basera sur les résultats des études de provenance.
En cas de restitution, c’est-à-dire de transfert de la propriété juridique à l’Etat congolais, le retour matériel des objets sera possible. Celui-ci s’appuiera sur une collaboration renforcée entre institutions scientifiques congolaises et belges, qui détermineront ensemble les meilleures conditions pour le retour et la conservation des objets.
Au total 84 000 objets ethnographiques et organologiques sont répertoriés et contenus dans le document remis aux officiels RD-congolais, mais l’on apprend qu’il y aurait quelques objets venant de la République démocratique du Congo qui ne font pas partie de cet inventaire et dont il n’y a pas des traces de provenance, comme c’est le cas, entre autres, du « tabouret de prestige » comme l’indique d’ailleurs l’équipe d’Africa Museum, que feriez-vous alors dans ce cas ?
Cet inventaire comprend quatre parties : tout d’abord l’inventaire des quelque 42 000 objets ethnographiques provenant avec certitude de la RDC. Ensuite celui de 34 000 pièces ethnographiques enregistrées comme provenant d’Afrique centrale ; la détermination de leur origine géographique précise nécessite des recherches scientifiques en collaboration avec nos partenaires congolais. À cela s’ajoute la description des 7 000 instruments de musique issus de la RDC, ainsi que celle d’environ 200 instruments de musique d’Afrique centrale.
Chacun de ces inventaires présente une courte description des pièces. Dans la mesure du possible, on y trouve une photographie de l’objet.
Je tiens à souligner que tout objet faisant l’objet d’une demande officielle de l’État congolais pourra être soumis à une étude de provenance. La commission mixte se basera sur les résultats de ces études afin de conclure sur le caractère légitime ou illégitime de l’acquisition dudit objet.
Vous avez reconnu lors de la cérémonie de la remise de l’inventaire que beaucoup de ces objets répertoriés ont été pillés, volés, pris de manière illégitime au Congo. Cela veut dire que la Belgique a privé les RD-congolais d’une partie de leur histoire. Comment pensez-vous le réparer au-delà de la restitution bien évidement ?
En effet, une partie des collections du MRAC, comme par exemple des objets acquis lors des expéditions des militaires Storms et Delcommune, ont été indubitablement acquis dans la violence. La provenance de certaines collections est déjà bien balisée et les résultats sont déjà disponibles sur le site web du MRAC. Pour ces biens, la commission sera rapidement saisie et j’espère que nous pourrons matérialiser notre approche dans les meilleurs délais. C’est pour nous, une première étape importante du travail de réconciliation.
Par ailleurs, je tiens également à préciser que depuis plusieurs années, un travail de réflexion et d’analyse est en cours concernant le passé colonial de la Belgique. C’est le cas notamment de la Commission spéciale « chargée d’examiner l’état indépendant du Congo (1885-1908) et le passé colonial de la Belgique au Congo (1908-1960), au Rwanda et au Burundi (1919-1962), ses conséquences et les suites qu’il convient d’y réserver ».
Le groupe d’experts, désigné par la commission spéciale, a présenté en octobre dernier un rapport éclairant les décisions qui reviennent aux membres de la Commission spéciale. Un chapitre consacré aux réparations vise à réunir des informations générales qui pourraient orienter le travail de cette Commission. Je serai attentif aux conclusions du travail parlementaire et je donnerai suites aux recommandations qui seront émises dans ce cadre.
Depuis le 30 avril 1910, date à laquelle le musée de Tervuren a été inauguré et les objets d’art en provenance de la République démocratique du Congo y sont également exposés jusqu’à ce jour. Cela a donc généré des recettes. Y a-t-il des mécanismes, au niveau de la Belgique, pour compenser cela ?
Comme tous les musées de nos jours, nos musées fédéraux ont besoin, en sus de la dotation publique, des recettes des visiteurs pour faire face aux dépenses liées à leur fonctionnement et à la conservation et la valorisation du patrimoine qui y est conservé. Il existe donc un lien direct entre ces recettes et ces dépenses et aucun bénéfice n’a été distribué à autre chose qu’à ses missions scientifiques et culturelles.
Dans le cadre de notre approche, nous entendons évidemment assurer le retour matériel des œuvres à titre gratuit, tout comme nous sommes disposés à continuer à conserver les œuvres de manière rigoureuse dans l’attente de demandes de retour matériel par les autorités congolaises.
Comment la Belgique entrevoit une coopération culturelle avec la République démocratique du Congo, une fois que les objets identifiés seront restitués ? Y a-t-il un modèle de partenariat en étude entre le Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren et le musée de la RDC ?
Il existe toujours un patrimoine culturel important au Congo et au Rwanda et ces pays demandent une collaboration pour le renforcement de leurs capacités. Le MRAC continuera à investir dans le renforcement des capacités de musées africains en matière de gestion et de restauration des collections, de stockage, de numérisation d’inventaires et d’archives et d’activités orientées vers le public. Le MRAC entretient des partenariats étroits avec l’Institut des musées nationaux du Congo (IMNC), la Rwanda Cultural Heritage Academy (anciennement les National Museums of Rwanda) et le Musée des civilisations noires (MCN) à Dakar. Avec ces musées, le MRAC dispose d’un vaste programme quinquennal de collaboration pour la gestion et la restauration des collections, des activités éducatives et orientées vers le public, la numérisation des inventaires et des archives, ainsi que des expositions communes et itinérantes.
Depuis le début de mon mandat, je n’ai cessé de souligner l’importance de ces collaborations entre nos deux pays et je compte poursuivre et renforcer autant que possible toutes les démarches déjà entamées.
Qu’en est-il alors de la politique de restitution concernant d’autres pays dont les œuvres sont présentes ici en Belgique (au musée de Tervuren) notamment le Rwanda ou le Burundi ?
Le cadre légal tel que nous l’envisageons s’appliquera à tous les territoires d’Afrique centrale qui ont été sous domination politique belge pendant la colonisation, en ce compris donc le Rwanda et le Burundi.
Cela étant, nous travaillons en priorité à la conclusion d’un accord bilatéral avec l’État congolais.
Propos recueillis par PATRICK NZAZI