Je publie cette tribune en guise de réponse à une question/demande d’une remarquable consœur écrivaine qui se formulait à peu près comme ceci : « En cas de mis en place d’un plan d’action post Covid-19 pour la Culture par le Gouvernement provincial, quelles seraient vos propositions de mesures d’urgence de soutien … ? ». Sa demande m’avait parue un peu brusque et inattendue.
J’avoue qu’en aucun moment je n’y avais pensé au point d’arriver à faire des propositions tangibles. Du coup, je mesurais ma responsabilité pour le secteur qui est mien (celui du livre) et lui promettais de revenir vers elle après m’y être penché à fond. Écrivain et opérateur culturel, je publie ici mes réflexions ayant abouties à des propositions on ne peut plus concrètes (pouvant bien-sûr être complétées et enrichies par d’autres idées émanant des personnes éclairées en la matière) pour un soutien tangible et urgent au secteur du livre dans la Ville-Province de Kinshasa, et pourquoi pas dans d’autres provinces qui voudraient bien aller dans le même sens.
Abordant la question, je commençais par relever un élément dans sa formulation que j’ai trouvé être pour moi un couac, mieux une entorse : c’est « Post-Covid » en français « Après-Covid ». Evoluant dans le secteur, je me suis dit, mais pourquoi seulement « après-covid » ? Pourquoi le Gouvernorat préfère attendre la période « après » le Covid-19 pour apporter son soutien aux artistes et culturels ? Qu’est-ce qui motive cette démarche ? Qu’est-ce qui empêche le Gouvernement provincial à aider les artistes maintenant ? Y’a-til vraiment des raisons évidentes à ne pas apporter ce « soutien » « pendant » cette période de crise ?
Au moment où je tentais de rassembler des idées pour écrire cette tribune, on apprendra, non sans grand étonnement, que le parlement vient de proroger pour deux semaines encore l’Etat d’Urgence, avec comme corollaires le maintien de toutes les mesures de sécurité pour lutter contre la pandémie Covid-19, et surtout le « Confinement ».
Ça va donc faire comme ça, jour pour jour, pratiquement trois mois que presque tout est dans l’arrêt. Trois mois que les artistes et culturels ne tournent plus, ne se produisent plus. Trois mois de cessation brusque de leurs outils de survie.
Si l’on considère que la plupart d’artistes et opérateurs culturels au pays n’ont que ça comme activité principale (la culture), donc ils sont restés comme cela à tenir sans rien pendant plus de 90 jours : Il appert clairement que renvoyer les choses (ce soutien) à « après le covid » ne serait pas du tout orthodoxe.
Le « Post » ou l’ « Après » en question, ce serait quand ? : Demain ? Après-demain ? Fin juin ? Juillet ? Aout ? Septembre ? 2021 ? L’après, à notre humble avis, devrait être « maintenant » ! Car jusque-là nous ne voyons pas du tout ce qui empêcherait l’Hôtel de Ville de commencer à appliquer maintenant son plan de soutien, du moins ce qu’il attend de nous comme propositions. Je voudrais bien que cette formulation de la question change simplement comme ceci : « Plan d’action de soutien aux artistes pendant le Covid-19 » ? Je pense que c’est bien à ça que s’attendent les artistes de toutes les disciplines ainsi que les opérateurs culturels, et non à une formulation de « après le Covid-19 » !
Plus de 90 jours sans entrées, ce n’est pas une mince affaire ! Personne n’a souhaité l’avènement de cette pandémie et, même en rêve, personne n’osera jamais le souhaiter. Quand il y a de quoi remédier à une situation difficile, il faut le faire directement sans le remettre au lendemain. Les artistes ont besoin d’un soutien d’urgence maintenant et pas après. C’est possible d’agir maintenant, c’est possible de les secourir maintenant. L’après-covid est une autre chose. Nous sommes encore dans le « pendant le covid » et nous ne devrons pas qu’attendre.
Cette première partie introductive de mes analyses pourrait bien être considérée comme un appel au Gouvernorat, si jamais il prenait cette initiative (louable) d’envisager un plan de soutien au secteur culturel : que ça ne soit pour « post-covid » mais « pendant-covid ».
Venons-en à présent à notre secteur spécifique : celui du « LIVRE » !
D’aucuns (nos compatriotes congolais) pourraient bien se demander avec un brin d’ironie au coin de lèvres si ce secteur est aussi vraiment dérangé/ frappé par cette crise ? Eh oui, nous les comprenons, car il est vrai que leurs regards ou esprits, parlant du livre « en RDC », ne se limitent très souvent qu’aux « écrivains-auteurs et éditeurs ou libraires », ils ignorent ou méconnaissent souvent la complexité de la très longue chaîne qui existe dans ce secteur. Ce n’est pas de leur faute, on les comprend et on ne va pas les en vouloir pour ça.
Oui, la chaîne du livre, pour parler de cette filière, est très longue et parfois complexe. Outre les écrivains, auteurs, éditeurs, libraires, on y trouve aussi: les imprimeurs, les infographes, les lecteurs, les papetiers, les correcteurs, les photographes, les designers, les traducteurs, les bibliothécaires, les organisateurs des festivals et salons, les illustrateurs, les agents (quoique pas encore très à la mode au pays), les bouquinistes, les coursiers, les libraires ambulant, les comptables et toute la variété des postes administratifs qu’on peut bien retrouver ci et là (chez les libraires comme chez les éditeurs),…
Les personnes travaillant dans cette chaîne sont toutes durement touchées par les effets dus au confinement pendant ces temps de lutte contre la pandémie covid-19. Ce qui est dramatique, c’est que pour la plupart, elles n’avaient que ça comme activité pouvant les aider à tenir pour les deux bouts.
Beaucoup de manifestations littéraires ont été annulées ou reportées, des librairies et bibliothèques fermées, des étales de bouquinistes n’ont pu s’ouvrir, les vendeurs ambulants interdits de se déplacer, les éditeurs ont reporté les sorties ; les auteurs n’ont pu gagner quelque chose du fait de la non-commercialisation de leurs œuvres, etc. Il en découle sans équivoque d’un gros manque à gagner pour ces derniers. La récente étude de Prof Ribio Nzeza sur l’impact économique du Covid-19 dans le secteur culturel et créatif en RDC fait état d’une perte d’au moins 44 Millions de dollars américains pour le deuxième trimestre de cette année (source : eventsrdc.com).
Quelqu’un pourrait encore insister pour nous dire « mais le livre ne se vend pas et ne nourrit pas son auteur en RDC, comment parler d’une crise pour les auteurs congolais ? ». Et bien, le verre n’a jamais été totalement vide dans ce secteur : il est à moitié plein, et d’autres préfèrent continuer à le voir à moitié vide. On ne leur en voudra pas. Sinon, quelques exemples simples : A Kinshasa, lors de certaines de nos rencontres littéraires, on peut bien entendre les témoignages de plusieurs travaillant ou œuvrant dans la filière du livre et qui n’ont que ça comme principale activité : les bouquinistes, que tous connaissons, la plupart ne vivent que de ça, et c’est grâce à ce commerce qu’ils font nourrir et étudier plusieurs qui sont sous leurs toits ; des auteurs qui, avec le peu qu’ils gagnent, cela leur suffit pour payer leurs loyers et tenir les deux bouts ; les infographes, les imprimeurs qui n’ont que ça comme activité, etc.
Le livre, en silence, fait déjà nourrir certains, qu’on ne se trompe pas. Certes, ça ne paye pas encore comme dans le secteur musical, pour faire des artisans des stars, des vedettes, mais du moins, ça leur permet de tenir, mieux, comme le dit un de nos brillants auteurs, Vincent Lombume, de « RESISTER » ! Oui, maintenant, à l’heure actuelle, ceux qui tentent de vivre dignement, de vivre honnêtement, pour y arriver, ils « Résistent », rien d’autre, il faut Résister ! Résister contre tout, contre le défaitisme, l’abandon, la corruption, l’injustice, le vol, la mort, cette mort qui nous guette chaque jour et à chaque pas !
Après ce long argumentaire en guise d’introduction, nous voudrons proposer maintenant (parce qu’il faut proposer des choses concrètes sur base desquelles on pourra par la suite discuter et voir quoi retenir… c’est ça l’essentiel !) notre petit plan d’action de mesures d’urgence pour aider ceux qui œuvrent dans le secteur du livre, en cette période du Covid-19.
« Création d’un fonds d’aide aux opérateurs du livre »
Reparti en 4 sections : Aide aux créateurs (auteurs, écrivains, bédéistes) ; Aide aux éditeurs et imprimeurs locaux ; Aide aux distributeurs et bibliothèques (libraires, bouquinistes…); Aide aux organisateurs d’événements littéraires (salon, festivals, concours, café, etc.).
1. Aide aux créateurs :
Auteurs – Écrivains – Bédéistes
Cette aide s’adressera à tous les écrivains, auteurs et bédéistes ayant un domicile à Kinshasa. Parlant des écrivains, nous faisons allusion à ceux qui produisent des œuvres littéraires (fiction et non fiction) et les auteurs (ceux produisant des essais, sans y inclure des notes de cours). Les bédéistes sont des auteurs de bandes-dessinées.
Conditions d’éligibilité :
– Avoir déjà publié au moins deux ouvrages/BD (fiction comme essai) à compte d’éditeur ou à son propre compte (autoédition) mais justifiant d’un numéro de dépôt légal obtenu avant Mars 2020. Un de ces ouvrages/BD doit avoir été publié au cours de deux dernières années,
– Ne pas avoir bénéficié d’une subvention du FPC (Fonds de Promotion Culturel) au courant de l’année 2019,
– Le montant de la demande ne peut dépasser X$ ou YFc (à convenir avec l’Hôtel de Ville selon la disponibilité de l’enveloppe).
2.Aide aux Éditeurs et Imprimeurs locaux
Cette aide s’adressera à tous les éditeurs et imprimeurs locaux indépendants de nationalité congolaise ayant un siège administratif à Kinshasa. L’aide apportée à cette section vise à toucher tous ceux qui y travaillent (les lecteurs, correcteurs, infographes, photographes, maquettistes, comptables, secrétaires, opérateur de saisie, etc.)
– La maison d’édition peut être physique comme numérique mais travaillant spécialement pour les auteurs congolais avec plus d’1 année d’exercice et un catalogue de plus de dix ouvrages déjà édités avec au moins trois auteurs de Kinshasa,
– Son catalogue doit contenir au moins trois ouvrages récemment édités, soit courant 2019 ou début 2020 ;
– Il doit s’agir d’une maison d’édition indépendante, c.à.d. ne bénéficiant pas d’une certaine subvention régulière ou rattachée à une quelconque institution (religieuse, politique, diplomatique, etc.) ;
– Elle doit prouver son existence en exhibant ses documents légaux attestant de sa régularité ;
– Toutes ces conditions précitées pour les éditeurs, s’appliquent mutatis mutandis pour les imprimeurs ; – Le montant d’aide à solliciter ne doit pas dépasser X$ ou YFc (à convenir avec l’HVK).
3.Aide aux Distributeurs et Bibliothèques (libraires classiques, bouquinistes, …)
Cette aide s’adressera à toutes les librairies et bibliothèques installées à Kinshasa, physiques comme numériques, ayant déjà plus d’une année dans le cadre d’exercice de leurs activités.
– La librairie ou bibliothèque devra être indépendante, c.à.d. pas rattachée à/ ou dépendante de/une institution ; – Elle (librairie ou bibliothèque) devra appartenir à un privé congolais ;
– Ces mesures s’appliquent mutatis mutandis aux bouquinistes de Kinshasa ;
– Le montant à solliciter ne doit pas dépasser X$ ou YFc.
4.Aide aux Organisateurs d’événements littéraires (salon, festivals, concours, etc.)
Il est ici question d’événements littéraires de tout ordre ayant à son actif au moins une édition et devant connaître une autre édition au courant de l’année 2020. Cette aide vient combler le manque à gagner par rapport à certaines dépenses déjà effectuées avant l’annulation ou le report, ou la difficulté d’obtenir de subventions suite aux mesures de prévention et de sécurité contre la pandémie, notamment le confinement.
Pour ce qui est de ces événements, de manière non exhaustive, nous citons : Les salons littéraires, festivals littéraires, prix littéraires, résidence ou atelier d’écriture, colloques littéraires, cafés littéraires, etc.
Le montant sollicité ne devra pas dépasser X$US ou YFc.
Procédure
A. Candidature
Les candidatures seront à soumettre par voie électronique en ligne via le courriel : aidelivrekin@gmail.com (ceci n’est qu’un exemple) au plus tard le 30 juin 2020 (possibilité de la modifier), en joignant les pièces ci-dessous :
– Présentation complète de l’opérateur (selon le modèle proposé par l’HVK);
– Copie carte d’identité et photo passeport ;
– Catalogue
– Projet événement avec budget prévisionnel,
– Etat de besoin
– Photo des ouvrages publiés pour les auteurs ;
Les candidatures approuvées seront contactées la première quinzaine du mois de juillet pour complément d’infos ou confirmation de certains points par la commission chargée de la validation.
B. Commission de validation
Une commission ad hoc sera créée et mise en place pour étudier les dossiers et donner ses avis sur ceux qui sont éligibles à obtenir l’aide de la Ville.
La commission pourra être composée entre autres de personnalité reconnue dans le secteur ou des délégués ou représentants de :
– Union des écrivains du Congo (UECO)
– Association des Jeunes écrivains du Congo (AJECO)
– Association Nationale des Éditeurs des Livres (ANEDIL)
– Association des Bouquinistes du Congo (ABC)
– Collectif des Artistes et Culturels du Congo
– Société des Amis de la Culture et des Arts du Congo
– Réseau Mikanda
– 1 Coordonnateur nommé par la Ville.
‘‘ Voici en gros nos propositions qui, comme dit plus haut, ne sont que des bases sur lesquelles peuvent se rajouter d’autres idées afin de les enrichir pour agir dans l’Urgence, car l’Urgence n’attend pas ! ‘‘
Merci !
Richard Ali, Écrivain et CEO/ Alibooks.cd