Interview exclusive de Vital Kamerhe, ancien Président de l’assemblée nationale de la République Démocratique du Congo. Une analyse sans langue de bois de la situation politique et des développements qu’il appelle de ses vœux.-Vital Kamerhe : Kabila ?
AFRIK.COM : Comment évaluez-vous la situation politique actuelle de la République démocratique du Congo et les chances du Président sortant Joseph Kabila de se représenter ou d’être réélu ?
Vital KAMERHE : Pour Kabila, la question ne se pose plus. L’obstacle constitutionnel ne saurait être levé, deux mandats, pas un de plus. Or il a déjà accompli deux mandats. Nous avons assisté à plusieurs tentatives de la part du pouvoir pour dépasser cette limitation : tout d’abord une tentative de révision de la Constitution pour autoriser un troisième mandat. L’opposition politique et la société civile se sont immédiatement réveillées et j’ai lancé avec l’UNC le slogan “touche pas à ma Constitution”, gros succès… Les événements de Ouagadougou ont prouvé qu’un peuple qui refuse la reconduction tacite de ses dirigeants peut toujours l’emporter. La deuxième tactique mise en jeu est dilatoire : retarder indéfiniment les élections en les subordonnant a la finalisation d’un recensement de la population congolaise et à une révision des listes électorales. La ficelle était trop grosse, une loi, fût-elle électorale, ne peut pas suspendre l’application de la Constitution. Or, le recensement ne saurait être finalisé avant le 19 décembre 2016 à minuit. Troisième biais pour décaler la fin du mandat : la multiplication des scrutins. Le calendrier électoral est surchargé. Nous en avons déjà pour près de 500 millions de dollars d’organisation, et ces élections, dont certaines se déroulent pour la première fois, vont entraîner des contentieux, la définition des circonscriptions étant porteuse de conflits entre groupes et communautés…. Cela justifie l’établissement d’un calendrier “à 23 contraintes” pour les élections présidentielles ; 18 de ces contraintes relèvent du gouvernement, 5 de l’Assemblée nationale… Nous serons attentifs à toute instrumentalisation du calendrier.
Quatrième obstacle que nous devons franchir : le redécoupage des provinces, de 11 à 25, porte en lui les germes d’une véritable explosion. Kabila semble vouloir rééditer une méthode des années Mobutu, “la territoriale des originaires” : une forme d’épuration ethnique au niveau local. La chasse aux non originaires. Au Katanga, cela réveille le spectre d’une sécession, car Sud et Nord du Katanga sont complémentaires : l’agricole et le minier doivent marcher main dans la main, et ne surtout pas se tourner le dos. Mais ce n’est qu’un exemple… La mise en œuvre forcée de cette nouvelle carte des provinces risque de provoquer un glissement du calendrier électoral. Mais nous nous y opposerons par tous les moyens. La population dispose d’un repère clair : la résolution 2211 du Conseil de sécurité dispose que les élections présidentielles se tiendront le 27 novembre 2016 pour une passation des pouvoirs le 20 décembre. Tout le reste peut glisser, mais ces deux dates sont intangibles. C’est pourquoi l’opposition propose un autre calendrier électoral, en retardant toutes les autres échéances après la Présidentielle, à l’exception des seules élections provinciales à l’occasion desquelles les fichiers électoraux pourront être révisés, afin de ne pas exclure tous ceux qui sont devenus majeurs après 2011 ! Dans un pays à forte natalité comme le Congo, cela représente près de 18 millions d’électeurs.
AFRIK.COM : Doit-on redouter des affrontements civils ?
Vital KAMERHE : Rien n’est à exclure quand le peuple est atteint dans sa souveraineté. C’est le scenario qu’essaient de prévenir les membres du G7, les Eglises, pleines de vitalité, et les partis d’opposition, qui forment un front commun sur ces sujets. Les affrontements, quelle qu’en soit la cause, c’est la stratégie du chaos, celle qui conduirait à un maintien de Kabila au pouvoir. Mais il n’y a pas de plus forte armée que la détermination d’un peuple décidé à prendre son destin en main.
Je pense que pour faciliter les alternances, il faudrait créer en Afrique un statut “d’ancien président de la République”, comme il existe en France, ou aux Etats Unis, avec quelques facilités logistiques et une assurance d’immunité dans des conditions très larges, excluant seulement les crimes de sang !
AFRIK.COM : Le front de l’opposition restera-t-il vraiment uni ?
Vital KAMERHE : Il n’existe jamais de front absolument uni. Ce serait contraire à la démocratie… Mais l’opposition politique ne s’est jamais si bien portée. Nous nous sommes tous mobilisés, du 19 au 25 janvier, à la fois les leaders des partis politiques et les éléments de la société civile, à la seule exception de l’UDPS. Pour bâtir un programme politique alternatif commun. Que voulons-nous faire du Congo ? Ensuite débutera le processus qui doit aboutir à la désignation d’un candidat unique de l’opposition. Cela reposera sur un accord minimum entre toutes les composantes de ce front uni, à la fois sur l’action à mener, et sur la répartition des charges et responsabilités qui permettra de l’entreprendre efficacement.
AFRIK.COM : Front uni de l’opposition avec l’UPDS en franc tireur… Mais quid de Moïse Katumbi ? Etes vous prêt à l’accueillir au sein de votre “Front uni” s’il quittait les rangs de la majorité ?
Vital KAMERHE : Il ne s’agit pas de faire une chasse aux sorcières, comme on le voit au Burkina Faso ! Tous ceux qui sont aujourd’hui encore dans les rangs du parti majoritaire peuvent aussi appuyer l’alternance, et ils auront leur place dans la construction de l’avenir. Je demande à Moïse Katumbi d’aller jusqu’au bout de sa démarche actuelle et d’entrer dans l’opposition. Pour moi, il n’est pas souhaitable qu’il soit le candidat de la majorité sortante. Nous devons construire l’alternance avec toutes les forces vives, de Tchisekedi à Bemba, quel que soit leur âge ou leur situation judiciaire du moment. De même, Moïse Katumbi à toute sa place parmi nous. Etienne Tchisekedi a un rôle d’aîné, aujourd’hui. Il n’est pas souhaitable qu’il s’expose en première ligne, il faut qu’il soit le sage et le référent qui arbitrera au sein du Front Uni de l’opposition pour calmer les velléités personnelles.
AFRIK.COM : Certains évoquent la possibilité d’un scénario russe à la Poutine/ Medvedev ou brésilien, à la Lula /Dilma Roussef…
Vital KAMERHE : Nous ne sommes ni en Russie ni au Brésil, où les Présidents que vous citez terminaient leur mandat avec une énorme popularité ! En République démocratique du Congo, avec un taux de croissance de 9%, aussi spectaculaire que durable et installé dans le temps, nous avons encore le taux de pauvreté le plus élevé du monde. C’est insupportable. Et le peuple ne le supporte plus. Donc le candidat qui serait amené par Kabila n’aurait aucune chance d’être élu…
Le peuple congolais ne peut plus accepter que les bénéfices de la croissance soient accaparés entre les mains de quelques individus tandis que la majorité de la population est clochardisée. Le réquisitoire a été délivré par un ancien gouverneur de la Banque centrale congolaise : l’économie congolaise à une double réalité : celle de la croissance et du décollage, et celle de la régression du pouvoir d’achat des masses congolaises. La coexistence de ces deux réalités ne saurait perdurer.
AFRIK.COM : Mais est-ce possible quand les richesses naturelles et géologiques de la République démocratique du Congo sont en réalité exploitées par des pays voisins ? Pensons par exemple au koltan, dont le premier exportateur mondial est le Rwanda, alors que son sous-sol n’en contient pas ?
Vital KAMERHE : Je suis heureux que vous fassiez cette remarque et je ne peux que m’associer à cette interrogation. Je pense que la solution est un modèle de coopération régionale. Les richesses minières peuvent donner lieu à des coopérations transfrontalières, pétrole, gaz, minerais… koltan… Mais cela doit se faire d’abord et avant tout dans le respect de la souveraineté territoriale de chacun, dans le cadre de coopérations ouvertes. Il y en a d’autres encore : une aide régionale au Sud Soudan serait également un acte de solidarité et de stabilisation de l’Afrique Centrale.
La République démocratique du Congo a vocation à être une plaque tournante mais nous devons, avant toute chose, remettre de l’ordre dans notre propre maison. Il n’y a pas de routes correctes entre le Katanga et la province Orientale. Nous manquons encore d’infrastructures de base. Le pays est écartelé et soumis à des logiques centrifuges. Les minerais, quand ils ne sont pas pillés, sont exploités à l’état brut.
Nous pouvons trouver des créneaux d’exploitation partagée avec nos voisins, qui gagneront également à ne plus “prendre” par effraction : il vaut mieux passer par la porte que par la fenêtre. Trop de drames sont artificiellement entretenus pour faciliter ces trafics : tueries, viols, rébellions, déplacements massifs, tragédies humanitaires… Pourtant personne ne gagne durablement à propager la haine et la peur. Pour construire dans la durée le décollage économique de l’Afrique centrale, nous devons nous entendre et partager.
La République Démocratique du Congo adhérente à la Communauté Economique des Pays d’Afrique de l’Est : je n’y vois que des avantages. Quand on définit des intérêts communs, on ne se fait plus la guerre.
AFRIK.COM : Et que pensez-vous de la situation au Burundi ?
Vital KAMERHE : Elle me préoccupe beaucoup. Il y a déjà un problème humanitaire à régler au Congo avec l’afflux de réfugiés qui redoutent les violences. Le Président burundais avait l’occasion de quitter le pouvoir avec les honneurs et de continuer son chemin en sage. Mais son entêtement risque de coûter cher en vies humaines. J’ai envie de lui dire…”Vous n’allez pas régner sur des cadavres…”
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