WWF se trouve 2 alliés

Un bazar… Rien de moins. C’est le mot qui définit le secteur d’exploitation forestière en Rd-Congo. Avec une des plus grandes étendues de forêt tropicale du monde, la Rd-Congo a un taux de déforestation compté parmi les plus élevés du bassin du Congo. Et cela va grandissant. Les forêts sont saignées à blanc.

Cependant, des experts estiment à moins de 10% la superficie d’exploitation forestière active indépendamment vérifiée légale et/ou durable. En d’autres termes, le commerce illégal du bois s’y porte bien. Et ce, en toute impunité. L’ONG internationale Wold Wide Found (WWF), à travers la Coalition nationale contre l’exploitation illégale du bois (CNCEIB), est en première ligne pour y remettre de l’ordre. Dans sa nouvelle stratégie, elle s’est trouvé deux alliés de taille: la Commune de la N’Sele et le Parquet de Kinkole.

Remettre de l’ordre dans le secteur forestier est une question de bonne gouvernance. Celle-ci a grand besoin d’être renforcée parce que l’illégalité dans ce secteur ne date pas d’hier. Et les solutions trainent. Des rapports des ONG du milieu relèvent « le manque de volonté politique et la corruption » comme les plus grands obstacles à une meilleure réponse face à ce fléau. D’autres pensent que « les instruments d’application du règlement forestier en Rd-Congo sont déficients… l’application de la législation manque de ressource et de coordination, les infractions sont rarement détectées et les sanctions imposées ne sont pas suffisamment dissuasives ».

Il faut donc agir. Et bouger les choses. Dans un souci d’efficacité, WWF a associé deux instruments de l’Etat dans sa lutte contre l’exploitation illégale des bois. Le mardi 9 juin, il a signé un protocole d’accord avec la Commune de N’Sele. « Notre présence (ndlr: à Kinkole) témoigne de la collaboration avec les entités décentralisées. La Commune de la N’Sele et le Parquet de Kinkole près le Tribunal de paix ont décidé de s’impliquer dans cette lutte », a souligné Me Alphonse Longbango de la CNCEIB. Puis : « cela est déterminant parce qu’aussi longtemps que les délinquants ne seront pas sanctionnés, ils continueront. Et l’ampleur de ce qui se passe ici témoigne de tout le travail que nous sommes en train de faire pour que les dirigeants améliorent la qualité des services, renforcer les capacités de l’administration pour que la loi soit respectée ». Selon les termes de ce protocole d’accord, la commune doit sécuriser et mettre à la disposition des services qui sont au port des éléments disponibles afin de mettre de l’ordre. Elle appuiera WWF et les services de l’Environnement. Aussi, en cas d’infraction, N’Sele et WWF donneront des renseignements au procureur pour qu’il applique la loi.

Pourquoi la N’Sele ?

A en croire Alphonse Longbango, la Commune de la N’Sele a une grande responsabilité dans ce qui se passe dans la vente des bois illégaux. «C’est véritablement une responsabilité. Si les bois sont saisis en Europe, la porte de sortie d’ici à Kinshasa c’est Kinkole». Le sens de ce protocole est de démontrer encore une fois que la Commune en tant qu’entité administrative décentralisée est impliquée dans la lutte. Elle doit militer aux côtés du WWF et du parquet de Kinkole pour que les délinquants forestiers soient attrapés. Bémol: ces trafiquants, présumés illégaux, venus de l’Equateur ou du Bandundu s’arrêtent sur le fleuve avec leurs grumes. Ils restent des jours sur des ilots, dorment dans des tentes de fortune, et font leur commerce, sans forcément accoster sur la terre ferme. Difficile donc de les traquer et les contrôler. Ni le Parquet, ni la Commune n’ont la logistique nécessaire. Solution: «pour traquer ces trafiquants dans les ilots, la Commune de la N’Sele compte sur l’apport de la Régie des Voies Fluviales (RVF) et de la Force navale qui ont des unités mobiles à leur disposition». Et le Bourgmestre de la N’Sele, Augustin Nkama Indi, de promettre: « nous allons monter des stratégies pour endiguer ce trafic même dans des ilots».

Des loups dans la bergerie!

Selon des experts, la forte demande en bois dans l’industrie de transformation qui monte en puissance dans les pays consommateurs du continent asiatique serait à la base des flux commerciaux, poussant certaines personnes physiques et morales à se détourner des voies légales et à se lancer dans l’exportation illégale. Cela pourrait se confirmer. Lors de la petite tournée de ports à Kinkole, le 9 juin, la délégation de la WWF a constaté qu’il y avait, notamment au port de l’ONATRA des grumes non identifiées (et d’autres avec une identification incomplète) qui, semblai être prêt pour l’exportation. Ce qui soulève des questions sur le travail de la Direction de contrôle et vérification interne (DCVI). Déjà, le Bourgmestre de la N’Sele avait pointé du doigt ce service. «La DCVI (service habilité à contrôler le bois au port) est parmi les services qui créent quand même beaucoup de désordres au port», a-t-il tapé. En fait, il y aurait des agents de ce service qui versent dans la magouille, fermant ainsi les yeux sur le commerce des bois illégaux. Ce qui ne permet pas au pays d’avoir les recettes indispensables à son fonctionnement, ni des données nécessaires pour l’établissement des statistiques. Interrogé à ce sujet, le responsable du port ONATRA est subitement devenu bègue. «Ce sont des agents de l’Etat. Ils viennent, ils regardent les documents d’exploitation,… quand il n’y en a pas, ils saisissent… comment je peux dire qu’ils sont à la base du désordre?». Question: comment des bois non identifiés se trouvant dans ce port ne sont pas saisis? Plutôt curieux. Autre curiosité. Un peu plus loin, au port privé Mfumu Moleka, une dizaine de scieuses électriques fonctionnent. Visiblement, ce sont des établissements classés. Cependant, la commune de N’Sele n’a aucun contrôle sur eux. A ce sujet, le bourgmestre adjoint n’a que des suppositions. «Si ces établissements ont des papiers nécessaires, je crois qu’ils sont en règle avec le ministère de l’Environnement».

En principe, tout celui qui viole la loi ou son complice devrait être puni. La loi oblige d’ailleurs tout individu témoin d’un cas d’illégalité de le dénoncer. «En élaborant cette loi, le législateur a voulu asseoir la bonne gouvernance. C’est-à-dire, poursuivre les délinquants sur base de dénonciations et les sanctionner», explique Alphonse Longbango. C’est une tout autre histoire dans les faits. Longbango suggère des réformes: «le travail du Ministère est connu. Il a une direction chargée de la gestion forestière, une direction chargée de contrôle et de vérification interne, une cellule juridique. Tout ça pour dire que lorsqu’on a une loi qu’on ne sait pas appliquer, il faut la reformer. L’adapter aux réalités. Et donc aujourd’hui, si rien ne marche, il faut que le Ministère s’auto évalue pour mettre finalement en place un mécanisme plus efficace». D’autres par contre soutiennent qu’il faut améliorer la transparence dans le secteur, achever le cadre réglementaire et améliorer l’application des règlements qui régissent l’exploitation forestière industrielle.

A côté de toutes ces réformes, il faudrait également que l’Etat et les ONG sensibilisent suffisamment les populations riveraines des forêts et les exploitants artisanaux et industriels à la réglementation en vigueur. Ce, afin qu’en agissant, chaque acteur soit conscient du mal qu’il fait, des sanctions qu’il encoure et du danger qu’il fait peser sur l’écosystème.

HUGO ROBERT MABIALA (MONDE RURAL)